L’argent dirige le basket : info ou intox ?

- 27 janvier 2025

Depuis plusieurs années, le gain financier dans le monde du sport professionnel est un sujet suscitant les débats. Ce milieu a beaucoup évolué financièrement. Entre les dépenses et les salaires mirobolants, le modèle économique ne serait-il pas, aujourd’hui, plus important que le plan sportif ?

Entre les droits de diffusion, l’image des joueurs, les sponsors, le développement de la discipline, et le modèle économique, le monde du sport a beaucoup changé. La couverture médiatique jouée par la presse ou les réseaux sociaux a aussi beaucoup contribué à cette évolution.
Depuis plusieurs années maintenant, le rêve de devenir sportif de haut niveau est de plus en plus présent chez les enfants. Certains parents deviennent fous en imaginant les potentielles sommes qu’ils peuvent empocher grâce à la réussite de la carrière de leur enfant.

Ce qui a également changé, c’est la motivation de certains joueurs. Avec le temps, plusieurs pays ont bouleversé le monde du sport professionnel en poussant les meilleurs joueurs à quitter l’Europe. On peut penser à la Chine, le Qatar ou encore l’Arabie Saoudite plus récemment. Avec l’expansion de ces championnats exotiques, on se demande si la plupart des joueurs ne seraient pas, aujourd’hui, plus attirés par le compte bancaire de rêve que par la carrière de rêve ?

Vincent Loriot

Faut-il vraiment voir les choses de cette façon ? Pourquoi ne pas considérer cela comme un moyen de développer le basket dans le monde entier ? À l’image de l’Arabie Saoudite dans le football, les Émirats Arabes Unis ont placé un club à Dubai rivalisant avec des équipes d’EuroLeague. On se dit qu’il y a l’argent mais aussi le projet sportif qui est alléchant.
Mais alors, aujourd’hui, peut-on dire que l’un a pris le dessus sur l’autre ? Vincent Loriot, directeur sportif du Mans est très clair à ce sujet :

« Ce que représentait l’histoire d’un club et sa valeur dans l’échiquier avait beaucoup de sens. Le rôle qu’un entraîneur donnerait à un joueur dans son dispositif est aussi un critère important. Tout cela existe encore aujourd’hui, mais l’aspect salarial est devenu la première motivation d’un joueur ou de son agent, très clairement. »

Une décision plus critiquée qu’autrefois qui interpelle les passionnés de sport en voyant les contrats parfois proposés aux joueurs de football dans les clubs les plus riches. Pour autant, le cas du basket français est assez particulier. Si l’on continue le parallèle avec le football, aucun club n’est vraiment menacé par une ligue ou autre organisme qui attire tout le reste du milieu. Or, le basket dans son ensemble fait face à un maître incontesté.

« Le basket français a face à lui un ogre qui s’appelle la NBA, qui possède 30 franchises, chacune offre 15 contrats, soit 450 joueurs. Ils ont trois two-way players en plus, ce qui fait 90 joueurs. Ils touchent environ 550 000 dollars la saison. La NBA a une ligue de développement : la G-League, qui offre des passerelles en cas de blessures etc… Nous faisons face à un ogre qui n’existe pas dans le foot. » rappelle le dirigeant Manceau.

Jean-Denys Choulet

Sur ce terrain, Jean-Denys Choulet, double champion de France avec la Chorale de Roanne et l’Élan Chalon, le rejoint à 100%.

« L’image renvoyée par la NBA n’est pas la meilleure. Quand on voit les salaires donnés à certains joueurs français et que l’on voit ce qu’ils produisent, on ne peut pas en vouloir aux jeunes de se dire « pourquoi pas moi ? ». Il faut aussi comparer ce qui est comparable. Le jour où nous serons capables de proposer aux jeunes joueurs les mêmes sommes qu’on leur propose en NCAA, on pourra se plaindre qu’ils partent là-bas. Tant que nous ne serons pas capables de leur donner les entraînements, le suivi, la diététique et ce qui va avec, que voulez-vous faire ? En France, si le joueur veut s’entraîner seul à n’importe quelle heure, il ne peut pas parce que le gymnase est pris. Aux États-Unis, il prend son ballon, il y va quand il veut. »

Si le basket français fait face à un ogre redoutable, la NCAA lui fait aussi beaucoup de mal. Plusieurs directeurs sportifs dont Remy Delpon, ont témoigné. Il fut l’un des premiers à pousser son coup de gueule sur ce sujet.
Aù-delà de ces « adversaires », le marché international pousse aussi les Français à vivre leur vie ailleurs. Vincent Loriot explique ce phénomène : 

« La France a une réputation excellente dans la formation. La Betclic Elite est reconnue comme l’un des meilleurs championnats d’Europe, et nous avons des résultats dans les catégories jeunes. Tous nos joueurs français savent et aspirent donc à vendre leurs services à l’étranger. Ils viennent dans ces pays avec cette mentalité que l’on prêtait aux joueurs étrangers, surtout aux Américains que l’on a souvent accusé de prendre la place de nos joueurs Français. Je peux prendre le cas d’Amath M’Baye qui a signé au Japon à sa sortie d’université à Oklahoma. Le contrat qui lui a été offert était le plus fort qu’il puisse imaginer à ce moment. Je peux aussi parler de Yannis Morin qui était à Roanne, a terminé la saison avec Murcie, en Espagne. Il a fait de très bons playoffs et il a reçu un excellent contrat provenant du Japon. Le gratin du basket français n’est pas dans notre championnat car les autres ligues et clubs offrent beaucoup plus d’argent que notre noyau dur (Monaco, Paris, Asvel). »

Yannis Morin

Cette problématique est aussi relié à une thématique du basket français. Beaucoup pointent du doigt le temps de jeu des jeunes dans les clubs professionnels.
Jean-Denys Choulet, fait le parallèle entre les deux sujets.

« Je pense qu’à l’étranger, on leur propose plus de temps de jeu. Cela commence à changer en France, mais il ne faut pas non plus se voiler la face. Nous sommes toujours un peu frileux à l’idée de faire des jouer des jeunes. On est étonnés qu’ailleurs ils jouent, mais on ne devrait pas l’être. Il ne faut pas attendre longtemps pour les faire jouer. On y voit aussi un problème financier. Les clubs n’ont pas beaucoup d’argent, ils ne veulent pas prendre de risques, ils mettent tous les oeufs dans le même panier et paient du mieux possible pour avoir le plus de garanties. »

« Ce n’est pas l’argent qui met les paniers, j’ai toujours vu les joueurs le faire »

De façon générale, une raison simple explique toutes ces décisions. L’argent est le nerf de la guerre et ce qui nous fait vivre.
Mais, comme le dirait Jerry Boutsiele, « ce n’est pas l’argent qui met les paniers, j’ai toujours vu les joueurs le faire. » Une belle punchline que l’on se devait de ressortir. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que plus un club est riche, plus il proposera des grosses sommes aux joueurs qu’il estime être les meilleurs pour les faire avancer dans le projet collectif. Cela fonctionne aussi pour le coach et le staff.

« Si je prends mon cas personnel, j’y ai pensé à un certain moment de ma carrière. Quand tu es sportif de haut niveau, cela ne dure pas longtemps, c’est 10 ans-15 ans pour les plus chanceux qui ne sont pas handicapés par les blessures. On ne joue pas tous pour l’argent au début, il y a la passion du basket évidemment. Quand le temps passe, tu te poses certaines questions : ai-je assez économisé pour mon après-carrière ? Certains pensent à l’argent en priorité mais il faut les comprendre, ils ont une famille à nourrir. […] On le voit avec certains joueurs qui ne sont pas NBA-ready, mais ils partent parce que tu joues avec les meilleurs joueurs du monde. C’est compliqué de dire à un gamin de 18 ans qu’il ferait mieux de ne pas faire ce choix alors qu’il va gagner 3 millions de dollars à l’année et qu’il touchait 2500€ dans son club. » explique l’intérieur de Dubai BC

Jerry Boutsiele

Un autre point très important que l’on a tendance à oublier : la fiscalité française a parfois ses inconvénients. Jerry Boutsiele nous l’explique.

« La fiscalité en France, ça ne rigole pas. Un joueur qui coûte 20 000€, en France, il coûte le double si tu comptes les taxes. Si tu vas en Espagne ou en Turquie, il coûtera beaucoup moins cher au club. »

Sur le plan fiscal, il est donc difficile pour les clubs français de rivaliser avec les grosses sommes proposées à l’étranger.
À l’image de T.J. Shorts, dont le salaire net serait de 450 000 euros la saison. Il coûte en réalité environ un million au Paris BasketBall. En Turquie ou en Espagne, il pourrait toucher ce million en coûtant autant à son employeur.

Dans l’ère moderne, l’aspect financier semble avoir pris une place plus importante que l’aspect sportif. Même si ce dernier existe toujours, les sommes explosent et de plus en plus de joueurs sont sujets à de potentiels contrats avec de gros chèques.
Si certains privilégient toujours le rêve d’une gloire sportive, ou cherchent d’abord à prouver leur valeur avant de chercher les meilleures rémunérations, l’argent finit toujours par rôder dans les têtes.
En fin de carrière, cette question devient une évidence et donne une réponse nette à ce débat.

Crédit photo : DR / Dominique Breugnot / Tuan Nguyen / Akita Northern Happinets / Dubai BC

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