Pour sa dernière campagne en tant que sélectionneur, Frederic Crapez est parvenu à accrocher le top 4 du championnat d’Europe U18 avec l’Équipe de France. Après plus de 30 ans passé sous la casquette d’entraîneur, il nous partage son expertise, et son regard sur la prometteuse jeunesse du basket français.
Entraîneur depuis plus de 30 ans, comment évaluez-vous les différentes générations que vous avez pu observer ?
Quand j’ai arrêté avec les professionnels, à l’époque, Pierre Dao, m’avait proposé les cadets. J’avais accepté avec plaisir, et je lui ai demandé d’aller voir un Championnat d’Europe cadet. J’avais 30 ans à l’époque, je me souviens d’être allé en Grèce pour l’occasion, et nous n’étions pas qualifiés.
J’ai interrogé les Espagnols, les Turcs, les Grecs pour comprendre pourquoi nous n’avions pas de résultat. Il ne fallait pas être sorcier pour comprendre que c’est tout simplement dû au fait qu’ils travaillaient plus que nous. Le basket français s’est mis à travailler à ce moment-là.
Il faut attendre un petit peu avant d’avoir des résultats, mais ils sont vite arrivés. Désormais, nous avons une véritable machine qui est lancée, et qui produit des joueurs et des joueuses de talent. Nous avons des résultats en équipe nationale, des joueurs en NBA. Cette année, on a eu un premier choix de Draft. Le basket français a changé de visage depuis 30 ans.
J’ai assisté à cela. J’ai connu l’avant où c’était difficile. Dans la génération 76, je ne voyais que trois nations dominer : la Lituanie, la Grèce et l’Espagne. On ne pouvait pas lutter contre eux. Aujourd’hui, c’est complètement différent, et j’ai été témoin de ça. Je suis heureux de voir que nos équipes sont compétitives, et que les Français sont reconnus dans le monde entier.
Le sélectionneur israélien est venu me voir, car il savait qu’il manquait des joueurs et n’en revenait pas que l’on soit encore une équipe très compétitive.
On continue à progresser, je suis sur toutes les actions de détection. On a davantage de critères, le travail s’est amélioré chez les benjamins (U11, U13) avec des rassemblements, des tournois etc… Le basket français s’est professionnalisé. Il s’est mis à travailler au quotidien. On a des préparateurs physique et on s’intéresse également au développement humain. Il y a tout un tas de critères que le haut niveau exige et que nous avons pris en compte. On travaille de la façon la plus professionnelle possible.
Aujourd’hui pour la France, c’est obligatoire et normal d’être le plus compétitif possible. On travaille, c’est le maître mot. On a des réunions, des orientations techniques, des débriefings, et on ne s’endort pas car nos voisins cherchent toujours à s’améliorer. Sur ces 40 ans, ce qui me fait le plus plaisir, c’est que la France est compétitive. Il y a 30 ou 40 ans, c’était difficile à imaginer, les USA dominaient avec l’URSS et la grande Yougoslavie, et un peu l’Espagne et l’Italie.
Ayant entraîné plusieurs catégories jeunes de l’Équipe de France (U17, U18, U19, U20), qu’est-ce qui vous fait palpiter dans la formation des futurs représentants du basket français ?
Les sélectionneurs sont là pour accompagner le joueur. On bénéficie du travail qui a été fait toute l’année par l’entraîneur en club.
Notre travail est de constituer la meilleure Équipe de France possible en fonction de ceux qui sont disponibles. Ce qui n’est pas non plus évident au niveau masculin pour avoir tous nos potentiels. On sait très bien que nous ne les avons pas. Il faut que chaque joueur puisse se révéler lors de la compétition.
Suite au match pour la 3e place, j’ai fait part à chaque joueur des axes d’amélioration qu’ils avaient à travailler. Ces compétitions servent d’évaluation pour le joueur. Elles servent de nouvelles pistes de travail, on est toujours heureux quand tout se termine bien.
Sur cette campagne, les gars étaient très déçus de cette demi-finale contre l’Espagne. Ils ont eu du mal à rebondir, mais je pense qu’ils étaient cramés.
Ils peuvent être fier de ce qu’ils ont fait car les deux précédentes générations ne s’étaient pas qualifiés dans le dernier carré. On a eu la meilleure équipe possible du moment pour faire cet Euro. Ils se sont investis à 200%. Ils ont représenté haut les couleurs de la France.
Sur l’engagement c’était non-négociable, je leur ai dit s’il n’y a pas d’intensité sur le terrain, on ne fait pas partie de l’équipe. Le coach que je suis a été très content de cela, et de leur comportement.
Cette année, lors des compétitions internationales U20, U19 et U18, la France est le seul pays présent dans le top 4 sur ces trois tournois. Le basket français est-il le plus prometteur à l’heure actuelle ?
Prometteur, je ne sais pas. On a le potentiel pour avoir de très bons joueurs. En tant que technicien, on a un axe très fort d’amélioration porté par Vincent Collet. Il nous fait part de son expérience.
Il faut qu’on améliore les joueurs dans la justesse de jeu. C’est la connaissance technico-tactique. Il ne faut pas oublier non plus l’adresse. Pour jouer au basket, il faut mettre des paniers. Notre ADN, et elle doit le rester, c’est qu’on défend dur et on court. On avance, les étrangers se rendent compte que nos joueurs ne sont pas uniquement des athlètes. Ils réfléchissent, ont un QI basket, une bonne lecture. Mais, il faut encore s’améliorer.
” Pour vivre tranquille, vivons caché “
Sur L’Équipe, vous avez réagit en disant qu’il fallait terminer avec le sourire en décrochant une médaille. Quel était l’état d’esprit au sein du groupe suite à la défaite en petite finale ?
J’ai dit cela car c’est toujours mieux de terminer une compétition par une victoire que par une défaite. Pour avoir connu les deux avec une médaille d’argent et une de bronze, ayant perdu la finale de deux points au mondial, il y a deux ans face aux Américains, on faisait la gueule. Il y a 30 ans en arrière, peut-être qu’on aurait été heureux. Le basket français a donc de l’ambition.
Cela dit, une médaille d’argent , c’est très bien, nous jouons tout de même une finale.
Les garçons étaient déçus de finir ainsi. On était moins bien dans l’énergie. Vous enchaînez 7 matchs en 9 jours, le 7e on s’est manqué. On a perdu en adresse. Nous étions bien placés sur les 5 premiers jours, et finalement sur les deux derniers, nous n’avons pas eu l’adresse escompté. À 3 points, on fait 14% contre l’Allemagne, et contre l’Espagne, c’est un peu mieux avec 27%. Pour gagner des matchs, c’est plus compliqué.
C’est une équipe qui manquait d’expérience et de maturité. Il y a deux joueurs de la génération 2006, très prometteurs. La moitié de l’équipe avait connu une compétition internationale.
Contre les Espagnols, nous nous sommes retrouvés bloqués face à Aday Mara et la zone qu’ils ont proposé, alors que c’était la même zone face à la Lituanie, qu’on avait bien attaquée.
Ce sont des problématiques auxquelles on fait face, ce n’est pas tous les jours que vous avez un joueur de 2m20 devant vous. Il faut s’adapter, on n’a pas su le faire.
Toutes les équipes de France sont victime de l’absence de cadres lors des compétitions internationales. Vous n’avez pas été épargné avec l’absence d’Ilane Fibleuil et de Pacome Dadiet. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ils n’ont pas répondu présent ?
Il faut leur demander. Pacome Dadiet, apparemment, était blessé. Ilane Fibleuil a souhaité décliner l’Équipe de France. Quant aux trois autres 2005 qu’on aurait potentiellement dû avoir, ils ont disputé le Championnat du monde U19 (Zaccharie Risacher, Noah Penda, Alexandre Sarr).
Je n’ai pas de commentaires à faire dessus, on a fait le maximum avec les joueurs qu’on avait, et on a essayé d’en tirer le meilleur parti. Je pense qu’on y est arrivé.
Sur la génération 2004, il y a trois joueurs draftés : Bilal Coulibaly, Rayan Rupert et Sidy Cissoko. Ils n’ont pas réussi à figurer dans le top 4 en U18, nous on l’a fait. On n’a pas de médaille, mais on est dans le top 4, et c’est l’objectif minimum à atteindre.
On vous connaît comme une personne discrète dans les médias. Est-ce un choix de votre part ?
Non, je ne suis pas sur les réseaux. Pour vivre tranquille, vivons cachés m’a dit l’un de mes adjoints (rires).
Tout cela est très superficiel. Je suis dans le circuit depuis plus de 40 ans. Lorsque vous gagnez, les joueurs sont bons, quand vous perdez, le coach est mauvais. Je le sais depuis très longtemps.
Je trouve que l’évaluation d’un coach se fait sur son parcours, et ce qu’il a fait.
Les plus beaux compliments sont les retours que nous font les joueurs qu’on a aidé à se construire en tant qu’homme. C’est la philosophie et le style qui importe, plus que les résultats. Il y a aussi l’accompagnement et la révélation de certains joueurs qui ont fait que je me suis attaché à ce rôle pendant tant d’années. Nous ne sommes que des accompagnateurs, la formation du joueur ne revient à personne.
Le joueur a un parcours, il va rencontrer plein de coachs au cours de sa carrière. Certains seront peut-être plus ou moins marquants pour lui, tout dépend de la relation entre l’entraîneur et le joueur.
Modestement, on doit aider le joueur à être le plus performant possible, et surtout, l’équipe avant tout. Pour moi, aucun joueur n’est au-dessus de l’équipe. Sinon, on pratique un sport individuel.
Crédit photo : FIBA