ITW Dessislava Anguelova (Charleville-Mézières) : « Je dis à mes joueuses d’être extraordinaire et pas ordinaire »

- 3 avril 2023

Désormais responsable du centre de formation des Flammes Carolo de Charleville-Mézières, Dessislava Anguelova a récemment réalisé l’exploit d’éliminer son ancienne équipe : l’USO Mondeville, en Coupe de France U18. Spécialisée dans la formation des jeunes joueuses, l’ancienne meneuse bulgare nous donne sa vision sur la nouvelle génération .

Lors des quarts de finale de la Coupe de France U18, vous avez affronté votre ancienne équipe Mondeville. Quelles sont les sensations lorsque l’on affronte un effectif que l’on connaît parfaitement ?
Je savais qu’on allait les rencontrer un moment dans l’année. Pour moi c’était un match comme les autres. Notre objectif était d’aller le plus loin possible dans la compétition, on savait qu’on allait se confronter aux meilleures équipes.
Pour moi, ce sont Lyon, Bourges, Montpellier et Mondeville. Avec Charleville, nous faisons partie des équipes du milieu de tableau. Il y a une facilité pour moi, car j’ai recruté toutes les joueuses de l’équipe adverse.
On s’est bien préparés pour ce match, on savait que ce serait difficile, et qu’il faudrait réaliser un exploit, ce qui s’est produit.
Nous n’avions rien à perdre, l’avantage psychologique était de notre côté. J’ai essaye d’expliquer aux filles qu’il fallait jouer sur cela. La pression était plus de leur côté car elles étaient les championnes en titre. Dans leur tête, il y avait cette conscience que le coach d’en face les connaissait.
C’est très particulier ce genre de matchs, il y a des sentiments partagés. Vous les aimez car ce sont vos anciennes joueuses, à la fin, il y avait de la joie mais aussi de la tristesse quand j’ai vu certaines joueuses de Mondeville pleurer. Il y avait de toutes les émotions.

 » La plus grande des différences, c’est la culture des pays de l’Est, et de la France « 

Avec 3 coupes de France cadettes et 2 championnats de France cadettes, vous avez marqué l’histoire de Mondeville, meilleur centre de formation du basket féminin français. Quelle image pensez-vous avoir laissé au club ?
J’espère avoir laissé la meilleure image possible. J’y ai passé six années extraordinaires.
Il y avait des problèmes d’agréments, le club devenait moins attractif au regard des parents, j’avais du mal à le comprendre. J’ai laissé beaucoup d’amis là-bas, c’est ma deuxième famille.
Je pense y avoir laissé de belles traces, humainement c’était une belle aventure. Mondeville restera toujours ma deuxième maison, mais aujourd’hui je défends les couleurs des Flammes Carolo.
Cela dit, ce que j’ai vécu à Mondeville humainement et sur le relationnel était exceptionnel. C’est le premier club qui m’a donné l’accès au haut niveau. Avant j’étais dans des clubs de niveau régional, mon expérience au haut niveau je l’avais gagné en tant que joueuse.
Ils m’ont fait confiance, je leur ai répondu de la meilleure des manières.

Entre février et septembre 2017, vous avez été coach de la sélection U16 féminine bulgare. Quels sont les points forts dans les formations bulgares et françaises ?
C’est très compliqué en Bulgarie. Le développement des jeunes est très différent, et la Bulgarie est derrière par rapport aux autres pays. Les meilleurs éléments sont partis à l’étranger, tout comme moi. Il y a une vraie volonté de revenir au haut niveau.
Il y a du monde qui revient, une nouvelle organisation depuis deux ans. J’espère que ça va revenir au haut niveau.
C’était tout de même une superbe expérience, c’est mon pays. Malheureusement, quand tu vis en France toute l’année, tu ne peux pas voir grand-chose, et lorsque l’on a que 45 jours pour prendre des décisions, ce n’est pas possible.
J’ai fait un an car j’estimais que je ne pouvais pas faire les choses correctement en étant sur place seulement deux mois pendant l’été. Cependant, il n’y a pas de meilleure opportunité que de travailler pour son pays. J’y reviendrai probablement un jour, et je ferais tout pour que l’on parle du basket bulgare.
En ce qui concerne les différences, la première vient des générations. J’ai vécu une éducation très stricte. La détermination, le travail, la discipline c’était non-négociable. On ne pouvait pas s’entraîner pour s’entraîner. Il y avait un vrai respect envers le coach. Toutes ces choses acquises m’aident énormément.
Aujourd’hui, les générations sont différentes. Il faut s’adapter. Cependant, si on arrive à transmettre ces valeurs aux jeunes, cela nous aide énormément. Elles sont fondamentales dans le sport de haut niveau et dans la vie de tous les jours.
En France, j’ai l’impression que le mot discipline est tabou. Je ne sais pas pourquoi, c’est pourtant la base de tout. Si tu sais ce que tu as à faire, et que tout le reste passe derrière, tout devient plus simple.
C’est ce que je dis à mes joueuses , il faut avoir des priorités. Il y a l’école, et le basket, tout le reste passe au second plan. Cette autodiscipline, cette détermination, cette organisation, cette motivation fait que tu vas réussir dans tous les domaines.
Dans les pays de l’Est, il y a une mentalité et un esprit complètement différents. J’ai vécu dans un pays où l’on ne savait pas trop ce qui se passait ailleurs, on était enfermé. Le seul moyen de réussir c’était le sport ou la culture. Le fait d’être dans le sport à ce moment, m’a permis d’acquérir des qualités et des compétences qui me servent encore aujourd’hui.
La plus grande différence, c’est la culture des pays de l’Est, et de la France. Ici, on ne parle pas de compétitivité, ce qui est dommage. Le sport de haut niveau, c’est la compétition. Tout le monde te dit qu’il faut prendre du plaisir. Je suis bien d’accord avec cela, mais si tu ne fais pas bien les choses, et que tu perds de 30 points au dernier match, je n’y vois aucun plaisir. C’est contradictoire.

Cela signifie que la notion de détermination et de compétitivité est plus importante dans les pays de l’Est qu’en France ?
Il faut parler des pays de l’Est en général. En Serbie, par exemple, un joueur ne va pas se dire qu’il prépare un match, peu importe son adversaire. Ici, on a peur. Je leur demande comment elles peuvent avoir peur, c’est du sport.
Normalement, il y a l’excitation de jouer un match, l’aboutissement de tout le travail effectué durant la semaine. Je pense que cet aspect de compétitivité, on ne leur enseigne pas au plus jeune âge. On leur dit que tout va bien, qu’il faut prendre du plaisir, que ce n’est pas grave.
Il faut apprendre aux jeunes à être compétitif. C’est le plus important, c’est une qualité première dans le sport de haut niveau, en plus de la discipline.
J’essaye de leur faire comprendre qu’il faut avoir cette mentalité dans la vie de tous les jours. Je dis à mes joueuses d’être extraordinaires et pas ordinaires. Je leur laisse le choix tout de même, c’est à elles de gérer leur vie, elles décideront d’être extraordinaires ou ordinaires. Mais, je leur demande de l’être.
J’aime toutes mes joueuses, les plus anciennes comme les actuelles, certaines sont plus difficiles, il faut les accompagner.
Avec l’une de mes anciennes joueuses qui joue toujours au basket aujourd’hui, on a échangé. Elle m’a dit qu’elle avait compris pourquoi je lui disais tout cela à l’époque. À partir de ce moment-là, on est d’autant plus fier de tout ce que l’on a accompli.

 » Dominique Malonga sera l’équivalente de Victor Wembanyama « 

Il y a deux ans, votre nom a été associé à l’organisation d’un match pour l’égalité entre les centres de formation masculins et féminins. Aujourd’hui, peut-on dire que les résultats suite à ce combat sont plus positifs ?
Je ne pense pas. Le club a initié cela, je l’ai pris très à coeur, car je trouvais cela totalement injuste. Les gens, de l’extérieur, ne comprennent pas ce que l’on a vécu.
Mondeville, avec le meilleur effectif d’un point de vue sportif en France, est rétrogradé dans une division inférieure suite à un texte du règlement dans une année où il n’y avait que des montées administratives suite au Covid. Ils ont monté 10 équipes en NF2, la seule rétrogradée en NF3, c’est Mondeville.
Tous ces matchs, on les a gagnés avec une moyenne de 60 points. Dans la poule qu’on jouait, il n’y avait pas de championnat, on savait qui allait gagner.
Pourquoi n’étions-nous pas plus souples pour changer le texte ? Je n’en sais rien.
Nous sommes en 2023, on parle de parité, d’égalité. Pourtant, chez les garçons, on voit deux divisions de 18 équipes, soit 36 centres de formations agréés. Chez les filles, seulement 12 le sont, cela représente un tiers.
Comment expliquer derrière aux jeunes filles qu’elles sont placées à un niveau complètement différent des garçons ? L’année du Covid, les championnats Espoirs étaient maintenus chez les garçons. Les filles, elles, n’ont pas joué.
Vous vous retrouvez donc dans une situation d’inégalité, on a essayé d’expliquer cela à la fédération. Avec 12 centres de formation agrées, vous avez autant de filles que de garçons, bien que ce soit un peu plus élevé chez les hommes. Cependant, nous ne sommes pas si loin. Les filles n’arrivent pas à trouver de structure, tout simplement car il n’y en a pas.
Selon moi, c’était un manque de bienveillance et de souplesse par rapport au fait que l’on sorte d’une année de pandémie, il faut donc modifier certaines choses. Il y avait un manque de volonté à mon avis. Cela m’a touché, je l’ai vécu toute l’année avec mes joueuses. Elles me posaient des questions, elles ne comprenaient pas. Elles avaient le sentiment d’être punies. La réponse finale que l’on a donnée, était la meilleure possible au niveau des résultats. On a gagné tout ce qu’il y avait à gagner.
Rien n’a changé finalement, cette année, une équipe va perdre l’agrément. Je pense que ce sera Charnay, s’ils ne montent pas. Pourtant, ils font du très bon travail, ils avancent. Je trouve cela dommage.

Existe-t-il aujourd’hui un moyen de faire changer les choses aujourd’hui ?
Je m’attendais à avoir plus de soutien des acteurs du basket féminin. On a eu le soutien de beaucoup de monde à l’extérieur, des personnalités du sport. Dans notre domaine, il y en avait très peu, ce qui est dommage car tout le monde peut se retrouver dans cette situation.
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il y aura de nouveau cette volonté. S’il y a un autre match pour l’égalité qui est organisé, je serai la première à soutenir l’initiative.
On a parlé de compétitivité, les équipes Espoirs jouent en Nationale 2. Au même titre que l’INSEP, il n’y a pas de montée ou de descente. Mettez ces équipes en Nationale 2 avec les résultats qui comptent. C’est-à-dire que l’équipe qui finit première monte en NF1, la dernière descend en NF3.
À Charleville, par rapport au règlement, les matchs en Nationale 2, je les utilise comme des matchs d’entraînement car je n’ai rien à gagner sportivement. Il y a des matchs que je joue à fond, d’autres pas du tout.
Il faut laisser les équipes en championnat Espoirs jouer. Les plus compétitives montent en Nationale 1. Il y a plein de choses à faire et à améliorer pour rendre ce championnat plus attractif. Les agréments sont donnés par la ministre des Sports. Il faut donc une volonté de changer les textes, je ne pense pas que ce sera possible. Il faut élargir la capacité à avoir des centres de formation agrées, même pour les équipes de deuxième division.
Le projet que l’on nous propose en centre agrée pour une jeune joueuse c’est le centre de formation en plus de la ligue féminine. Il faut imaginer une joueuse de 18-19 ans évoluer en ligue féminine, la marche est très haute.
Il y a des joueuses exceptionnelles comme Marine Johannès qui ont réussi à passer le cap allant du centre de formation à l’équipe première.
Ne serait-ce pas le meilleur projet d’avoir un centre de formation agrée en plus d’une équipe en Ligue 2, comme ce fut le cas à Mondeville ?
Aujourd’hui, dans leur effectif, 9 joueuses sur les 12 ont joué en centre de formation.
Le projet d’un centre de formation agrée avec une équipe en NF1 aussi est intéressant, il ne faut pas être conditionné aux résultats de l’équipe première.
Il faut proposer un centre de formation agrée avec un cahier des charges très strict et dense, plein d’exigence et de donner l’agrément par rapport au travail, et non pas aux résultats.

Sur les dernières compétitions internationales, la moyenne d’âge de l’Équipe de France féminine était de 26 ans avec trois joueuses de 21 ans, pour 28 ans en moyenne chez les hommes, dont un âgé de 21 ans. Peut-on dire que le basket féminin compte plus sur sa nouvelle génération ?
C’est beaucoup plus large que cela, il y a de très bons joueurs dans l’équipe première masculine. Il y a une hiérarchie qui est établie.
Je peux commenter l’équipe féminine, qui est excitante à regarder, la nouvelle génération est très forte. Il y a un tel réservoir de joueuses que les entraîneurs des différentes catégories en Équipe de France auront du mal à composer leur effectif. Le futur est brillant, et il y a de très belles choses à faire.
Je pense à Dominique Malonga, qui sera l’équivalente de Victor Wembanyama.
J’ai observé la dernière fenêtre internationale des garçons où il n’y avait aucun joueur d’EuroLigue, ni de la NBA, c’était un basket de super qualité. Ils n’ont aucun souci à se faire non plus.
Le futur du basket français est radieux, mais, il faut toujours à s’améliorer. Le point où je pense que les points où la France doit s’améliorer, c’est sur la technique individuelle. De manière générale, les fondamentaux sont mieux maîtrisés par un joueur espagnol ou serbe.
Dans n’importe quel domaine, nous devons nous inspirer des autres pays. Il faut prendre le meilleur de tout le monde. En Espagne et en Serbie, il y a une vraie maîtrise dans la lecture du jeu, et je pense que la France est un petit peu moins forte à ce niveau. Cependant, avec le potentiel de l’Équipe de France à l’avenir, je ne me fais pas de soucis.
Si j’étais coach, je prendrais Nando de Colo tous les jours tant qu’il joue, même s’il a 40 ans.
C’est une question de joueurs et d’effectif sur le moment même. Les dirigeants de l’Équipe de France savent très bien ce qu’ils font, et les résultats le montrent. Il y a tellement de potentiel que les prochains changements ne vont pas perturber le niveau. Les joueurs seront prêts, ils jouent dans de superbes championnats.
Quand je vois l’équipe féminine, des joueuses comme Marine Fauthoux, Iliana Rupert sont très fortes, c’est impossible de ne pas leur donner leur chance. On a des joueurs très forts, et que l’on peut encore utiliser.

Crédit photo : Bruno Bryl / BBL Photographie / Flammes Carolo Basket Ardennes

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