Interview Yannis Morin : « Si on m’avait dit il y a deux mois que j’allais jouer les finales d’ACB, j’aurais rigolé »

- 17 juin 2024

Leader de la Chorale de Roanne, Yannis Morin a vécu une fin de saison inoubliable.

De la relégation en Pro B à la finale des Playoffs de Liga Endesa face au Real Madrid en l’espace de quelques semaines, Yannis Morin n’y aurait jamais cru. C’est pourtant bien ce qu’il a vécu et il nous raconte. Interview.

Comment as-tu vécu la saison avec Roanne qui s’est terminée sur une descente ?

Dans l’ensemble, je vais dire que c’était compliqué, très compliqué. Le coach l’avait dit, je pense qu’au début de l’année, le club partait sur de grosses ambitions. Et ça ne s’est pas du tout passé comme prévu. Le championnat a commencé, individuellement pour moi, c’était très bien parce que j’ai pu m’épanouir, me montrer, toucher le ballon et j’avais surtout beaucoup de temps de jeu. Mais au-delà de ça, on n’arrivait pas à concrétiser, prendre les matchs qu’il fallait prendre et se sécuriser par rapport à ça. C’est très vite devenu très difficile et on a très vite été mis sous pression.

Ça doit être frustrant de voir que personnellement tout se passe bien, mais les résultats collectifs ne suivent pas.

C’est ça. C’est surtout par rapport aux joueurs étrangers de mon équipe. On s’attendait à ce qu’ils soient performants, qu’ils aient de la rente, qu’ils soient rentables pour l’équipe, mais ils n’ont pas réussi.

Au final, vous terminez dans les trois derniers, Roanne descend en Pro B, mais toi tu files à Murcie. Comment s’est fait l’approche avec l’UCAM ?

Tout s’est passé très vite. Dans les deux heures après le dernier match du championnat, qui était contre l’ASVEL. Mon agent m’a écrit « Écoute, on a peut-être une offre pour toi pour la semaine prochaine. Je te confirme ça dans la soirée. Réfléchis par rapport à ça ». Il m’a dit que les deux intérieurs étaient blessés, que je serais amené à jouer. C’était une grosse opportunité pour moi de faire des Playoffs d’ACB. Bien sûr, il m’a donné la nuit pour réfléchir par rapport à ça. La proposition officielle est arrivée dans la nuit et le matin, j’ai donné mon accord. En fin d’après-midi, le contrat est arrivé, je l’ai signé, puis dans la soirée départ pour Paris pour rejoindre Murcie dans les 24 heures qui ont suivi. Tout s’est passé très vite. Dans les 48 heures après le dernier match avec Roanne, j’étais déjà en Espagne.

Comment t’es-tu senti à ton arrivée là-bas, dans une équipe rodée qui se prépare pour les Playoffs ?

Je me suis préparé à un peu tout. J’ai regardé ce qu’ils ont fait cette année au niveau de l’équipe. J’ai vu qu’ils ont fait le Final 4 de BCL. C’est déjà un groupe très bien structuré qui a déjà eu des résultats. Du coup, je me suis dit, « Yannis, il faut que tu sois au service de l’équipe avant de pouvoir toi en profiter ». Je me suis dit que c’était à moi de m’adapter à eux, de me fondre dans la masse. Je ne voulais pas prendre la lumière. J’ai plutôt voulu aider l’équipe au maximum. J’ai super bien été accueilli par chaque membre de l’équipe, par chaque membre du staff. Je m’attendais un peu à des gens fermés ou qu’on me mette à l’écart du groupe. Au contraire, pas du tout. Ils sont tous venus vers moi pour m’aider, pour me faire comprendre ce qu’on attendait de moi. Les assistants coachs ont passé des heures avec moi à travailler sur les systèmes pour m’adapter au plus vite possible parce qu’au final, je n’ai eu que deux entraînements avant le premier match.

Tu arrives dans l’équipe, en quart de finale vous affrontez Valence, une équipe d’Euroleague, comment ça s’est passé ?

J’ai essayé de faire comme lors de mon expérience précédente. C’était déjà arrivé en 2018, quand j’ai rejoint le Mans, où je suis passé de la G-League aux Playoffs avec le Mans. J’ai essayé de travailler étape par étape sur ce que je devais faire et ce que l’équipe devait faire. Quand je suis arrivé, c’était la préparation pour les quarts de finale. Je savais que quand j’allais entrer en jeu l’équipe allait avoir besoin de défense et de rebonds car les intérieurs étaient blessés. Je me suis donc concentré sur prendre des rebonds, défendre et poser de bons écrans. Je me suis déjà concentré sur ça et les systèmes. Je m’attendais à jouer au premier match. Au final, je n’ai pas joué sur décision du coach. Je me suis remis en question. Je me suis demandé si le club avait vraiment besoin de moi. En plus, ils ont gagné sans moi. Le jeune intérieur a été très bon. Je me suis remis en question. Le coach est venu me voir et m’a dit « T’inquiètes pas Yannis, tu vas jouer. Tu vas jouer le prochain match. T’es notre carte joker. Match retour, tu vas jouer ». Malgré tout j’étais un peu déçu. Mon agent a essayé de me réconforter, ma compagne, qui est avec moi, aussi. C’était un moment un petit peu difficile où on se met à douter, mais c’est normal je pense. Au final, le deuxième match arrive, c’est à Murcie. Et là, je me rends compte que Murcie, ce n’est pas du tout comme les clubs qu’on a en France. Les fans sont vraiment à fond avec le club. Je rentre sur le terrain. Bien sûr, comme pour tout le monde, c’est le pur plaisir de l’euphorie. Je ne joue pas longtemps. Je crois que j’ai joué 15 minutes. Mais j’arrive à montrer des choses. J’essaie de rentrer dans le rythme du jeu. J’ai eu beaucoup de mal. Défaite. Troisième match, j’ai joué et je me suis senti comme dans un match que je connaissais déjà, comme un match de Playoffs de Betclic Elite. Je me suis super bien senti. Ça s’est super bien passé, on a gagné et on s’est qualifié.

Une première étape de passée.

Un premier tour contre une équipe d’Euroleague. J’ai joué contre Damien Inglis en poste 5 en face de moi et Brandon Davies qui a notamment joué à Barcelone. Je me suis dit que c’était déjà des gros morceaux, et je me demandais comment ça allait se passer face à eux. Il fallait que je puisse les arrêter. Ça a porté ses fruits, ça a amené à la victoire, et tant mieux. J’ai pu montrer que même offensivement, j’étais capable de faire des choses. Ça a fortement plu à tout le monde, et surtout aux fans. Ils ont carrément fait de une musique par rapport à mon nom. C’était incroyable. Et en fait, je me suis senti soutenu de toute l’équipe, de tout le club, de toute la ville. Quand on se baladait en ville avec ma compagne, les gens nous reconnaissaient. Il y avait vraiment un gros soutien à un point que j’ai rarement vu. J’ai eu une motivation énorme. J’ai eu beaucoup de soutien, d’encouragement du staff de Murcie, qui m’a mis en confiance. Ça m’a permis d’être décisif sur les matchs. C’était vraiment énorme.

Damien Inglis, Brandon Davies et Valence. Ensuite Malaga, qui a remporté la Champions League.

(il coupe) Qui a gagné la BCL, mais qui est surtout premier du championnat devant le Real Madrid et Barcelone ! Tout le monde me disait : « Yannis, Malaga c’est encore au-dessus de Valence ». J’étais surpris parce que pour moi, ok, Malaga a gagné la BCL mais j’ai déjà joué des champions de BCL. J’ai joué Tenerife, par exemple, qui l’a gagné plusieurs fois et je m’attendais à une équipe de ce niveau-là. Ils m’ont dit « Non, non, non ! ».

Mes coéquipiers m’ont dit qu’à Malaga, les joueurs sont ensemble depuis plusieurs saisons, ils se connaissent très bien. Et ce n’est pas pour rien qu’ils ont gagné aller-retour et en Champions League contre Murcie ou par exemple, à Madrid en championnat. Je me suis dit ‘Ok, je vais jouer une équipe qui joue vraiment en équipe’. Ce n’est pas individualiste, en fait, tout le monde connaît son rôle et ils se retrouvent tous selon les actions. Ici, j’ai trouvé une équipe où je n’avais jamais vu ça, il y a très peu de scouting individuel, c’est du scouting d’équipe. Donc de mon côté, en fait, je suis allé faire mes recherches, regarder qui sont les intérieurs, les joueurs, et je vois un ancien coéquipier qui était à Strasbourg avec moi, Kameron Taylor. Je regarde, je vois que leurs intérieurs sont capables de tirer à trois points, qu’ils sont athlétiques, et l’équipe est vraiment très homogène. Et on l’a senti dès les premiers entraînements après les quarts de finale, le coach est super stressé par rapport à ça. On va à Malaga, et même au niveau de son coaching, lui, il est très dans l’humain, on l’a tous senti beaucoup plus sous pression parce que cette année, Murcie n’a jamais gagné contre Malaga avant les playoffs.

Un petit détail que j’avais oublié de dire. Pendant le Media Day à Murcie j’ai eu la question d’un journaliste : « Monsieur Morin, vous êtes arrivé à Murcie, est-ce que vous êtes au courant de la situation et de ce que les Playoffs représentent pour l’équipe ? ». En fait, j’ai appris après que c’est seulement la deuxième fois de l’histoire du club qu’ils se qualifient pour les playoffs. La pression était déjà énorme sur le staff et les joueurs. J’ai tendance à ne pas trop subir ce genre de pression-là. Du coup, j’ai dit ‘oui, je suis totalement au courant et je ne suis pas venu ici pour rigoler’. Mais quand on arrive en demi-finale, j’ai senti que le coach était vraiment stressé par rapport à ça. Super stressé. Il nous demandait d’être beaucoup plus précis sur nos détails défensifs et offensifs. Et bien sûr, quand on joue une équipe de ce niveau, c’est sur ces petites précisions que les différences vont se faire. Et ça s’est fait sur les précisions et la vaillance surtout.

Début de série contre Malaga.

On arrive à Malaga, au final. Premier match, la salle, elle fait quoi ? Environ 14 000, 15 000 places, je pense (ndlr, 11 300 places). Elle est immense. Une ambiance à l’équivalent de Murcie. Au premier match, on perd dès le début. En face de nous, on trouve une équipe solide et intense. J’ai trouvé ça très intense. Dès qu’on a fait une erreur, on l’a payé cash. Le coach m’a mis finalement sur le terrain et ça se passe super bien. Premier match, on l’emporte. Deuxième match, il m’a fait commencer parce que l’autre intérieur qui était avec moi à Moussa Diagne était blessé au genou. Il m’a fait starter et là, je pense qu’on fait notre meilleur entrée de match de tous les Playoffs. On mène comme 19 à 2 ou un truc du genre. Après, ils reviennent, je me prends un coup et je fini en sang. Je fais un salut au public et là, on finit par gagner le deuxième match. Les gens se disent « Wouah, Murcie ! Murcie a gagné à Malaga deux fois de suite ». Ça a envoyé un message très fort à tout le pays, toute l’Espagne, où en fait, les gens ont vraiment commencé à douter et ont eu peur de nous. Et ça, c’est vu. Nous qui gagnons en confiance et en face, on voit le visage des adversaires qui commencent à douter.

Je pense qu’on avait une surconfiance par rapport à ce match-là. La phase de retour, ça s’est très, très mal passé. C’était totalement l’opposé, on perd les deux matchs à domicile. Tout le monde disait « Mais les Playoffs qu’il y a entre Murcie et Malaga, ça n’a vraiment pas de sens ». Et je crois que c’est la première fois de l’histoire de l’ACB qu’une équipe accède à la finale sans gagner un seul match à domicile de tous les Playoffs. On n’a gagné qu’à l’extérieur. Et du coup, le dernier match se joue à Malaga. On donne tout, on donne tout, tout, tout. Et vraiment, le match s’est joué à la vaillance, sur les ballons qui traînaient, sur la défense, sur l’intensité.

Vous donniez l’impression d’avoir un groupe complet.

On s’est rendu compte que dans notre groupe, même s’il y en a qui font des gros matchs comme Dustin Sleva, Dylan Ennis ou Jonah Radebaugh, au final, tout le monde a eu sa part dedans. Et tout le monde a contribué. Et quand il y en a qui ont eu un coup de moins bien, il y en avait toujours un pour relever l’autre, pour pousser vers le haut. Et c’est une sensation que j’ai rarement eue dans une équipe. C’était vraiment une équipe très soudée et pour aller vers l’avant. C’était un vrai plaisir. Même au sein du groupe, sur le terrain comme hors du terrain, on était vraiment un vrai groupe. Mon coéquipier, Rodian Kurucs qui était à Strasbourg l’année dernière, je ne l’aimais pas du tout par rapport au coups bas qu’il avait pu donné sur le terrain. Je me suis rendu compte que c’est une personne avec un grand cœur, qui est très souriant, qui est très humain et que j’ai vraiment apprécié et avec qui je suis devenu vraiment très proche aujourd’hui. C’est quelque chose que je tiens à souligner parce qu’au final, c’est quand même devenu rare dans des groupes de basketteurs professionnels d’avoir des gens qui mettent autant les égos de côté juste pour l’intérêt de l’équipe. C’était vraiment un pur plaisir par rapport à ça.

Vous finissez par battre Malaga pour vous qualifier en finale. Là c’est encore un autre niveau, le Real Madrid.

On passe de Murcie, 4,5 millions de budget, au Real Madrid, 45 millions de budget. On n’a même pas besoin de parler du roster. Le coach était encore beaucoup plus stressé qu’avant. Il savait qu’il y avait moyen de faire quelque chose parce l’UCAM avait gagné un match de championnat contre Madrid cette année. On avait rien à perdre. En vérité, on était déjà arrivés jusque là alors que les gens ne croyaient pas en nous. On l’a fait. On a battu Malaga. Il fallait tenter le coup contre Madrid. On a tout donné, mais le Real Madrid, c’est clairement l’équipe où il faut faire les matchs parfaits pour les prendre. Ils sont prenables, mais c’est impossible de se tromper. Un mauvais tir, une petite faute, ça va les relancer instantanément. Ce sont des joueurs d’élite, ça se paye cash. C’est vraiment le vrai visage du très haut niveau européen. On n’est pas loin mais il y a encore quelque chose à faire. On était jamais loin, toujours à 4 ou 5 points derrière, mais ils faisaient la différence dans les dernières minutes. Juste au troisième match, on est devant de 10 points à la mi-temps, mais je crois qu’on prend un 20-0 dès le début du troisième quart. Ça fait de la peine parce qu’on est compétiteurs, bien sûr, mais on a tous gagné. On est tous fiers. Moi en premier, fiers de ce que j’ai fait par rapport à mon histoire. Ce que je trouve incroyable, c’est de relégation en Pro B à la finale d’ACB contre Real Madrid. On me l’aurait dit il y a deux mois, j’aurais rigolé.

Tu penses que c’est la meilleure équipe que tu as jouée dans ta carrière ?

Oui. Il ne faut pas oublier que c’est une équipe qui se qualifie régulièrement en finale de l’Euroleague.

Justement, comment as-tu vécu de te retrouver face à des joueurs comme ça, Walter Tavares, Vincent Poirier, Guerschon Yabusele ?

Je me suis dit qu’il ne fallait pas que je sois impressionné parce que c’est le pire à faire. Quand on joue le Real de Madrid ça se voit sur le visage de tout le monde. Les gens étaient choqués et impressionnés. Quand on arrive au Wizink Center, on se rend compte qu’on est là, en finale, qu’on a le trophée et qu’on doit jouer le Real de Madrid, ça met une claque. J’ai essayé de prendre du recul par rapport à ça, par rapport à ma vie, par rapport aux gens contre qui j’ai joué, même si c’est un entraînement, peu importe.
Je me suis dit ‘Yannis, ton pote, c’est Rudy Gobert. Tu vas avoir Tavares sur toi, dis-toi que c’est pareil. Ne te mets pas de pression, c’est pareil’. Je suis même adapté par rapport à ça parce que je ne voulais pas me mettre de pression, angoisser ou être impressionné par rapport au mec parce qu’il fait 2m20 et qu’il a été le meilleur défenseur de l’Euroleague. Je me suis senti mieux quand je l’ai joué en face de moi. Vincent Poirier, je le connaissais, on a déjà joué contre l’autre pendant des années. On était en équipe de France jeune ensemble. Mais Tavares, c’est la première fois que je le voyais et quand je l’ai vu, je me suis dit ‘ça va en vrai, c’est un humain’. La pression est rapidement partie et je suis entré mentalement dans le fait d’avoir quelque chose à prouver, ce qui était très difficile extrêmement difficile car le niveau de défense de Madrid est incroyable, il ne faut pas se mentir. Mais j’ai rapidement retrouvé mon chemin en me disant que c’était des humains en face de moi.

Quand ton agent t’a appelé après le match face à l’ASVEL pour te dire que tu vas aller jouer les Playoffs d’ACB, tu as dû être surpris.

On était sur le canapé avec ma compagne. On s’est regardés dans les yeux. On avait déjà planifié nos vacances, mais on s’est dit ‘allez pourquoi pas, on tente le coup’. Il a fallu tout faire très vite, mais oui, sur le moment, on était choqués. On ne s’attendait pas du tout à ça. On pensait à des choses pour la saison prochaine ou des trucs comme ça. C’était une vraie belle surprise. Ça a valu le coup et c’est vraiment une histoire incroyable. J’en ai même une cicatrice pour m’en souvenir. Même pour ma compagne, je suis vraiment content, content d’avoir partagé ce moment-là avec elle.

Maintenant que la saison est complètement terminée et que tu as vécu cette expérience à l’étranger, est-ce que ça t’a donné un peu envie de tenter ta chance en Europe ?

Bien sûr, surtout que je pense que là, je me suis fait connaître. C’est une très belle opportunité pour moi. J’aimerais bien. Je ne sais pas ce que je vais avoir comme opportunité maintenant, mais c’est devenu un objectif d’au moins essayer de m’installer ou de montrer mon nom et d’essayer de faire ce que je peux faire à l’étranger. Aujourd’hui, avec les playoffs que j’ai fait avec Murcie, je pense avoir prouvé que j’ai le niveau et que je suis prêt pour les ligues européennes, qu’en peut de temps je me suis montré capable de m’adapter très vite, ce que je trouve être une bonne qualité et que le staff m’a confirmé ce qui m’a donné une grande confiance dans mon jeu. Maintenant, j’espère vraiment trouver et m’installer en Europe, c’est l’objectif de tout basketteur et c’est le mien !

Crédit photo : UCAM Murcia

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