ITW Keziah Forest-Lo (Poitiers) : Maturité et spiritualité

- 3 décembre 2024

Un jeune homme de 20 ans, d’une grande maturité et qui ne cherche absolument pas à prendre toute la lumière. Keziah Forest-Lo nous a permis de le découvrir et d’apprendre à connaître la personne et l’humain derrière le basketteur. Il se livre sur son parcours, ce qu’il a appris à Dijon, Vichy, aux États-Unis et à Poitiers. Un caractère altruiste porté par sa foi et sa confiance qui fait de lui le meilleur marqueur du championnat Espoirs Pro B.

Tu as joué ton premier match en Espoirs en décembre 2021 avec Dijon. Chaque saison, tu as joué dans un nouveau club (Dijon, Vichy, Lamar Junior College, Poitiers). Pourquoi il n’y a pas eu de stabilité jusqu’à présent ?

J’ai un parcours atypique et singulier. J’ai fait trois ans de formation, et quand tu entres en ayant 14-15 ans, tu n’es pas assez mature. Tu apprends à vivre loin de ta famille, dans la collectivité. J’ai trois petits frères et ma mère, et j’ai tout fait avec eux.
Mon expérience en France m’avait un peu découragé, j’avais pas mal d’offres aux États-Unis, en D1 de la NCAA. Mes documents administratifs ont pris trop de temps, donc je suis parti en Junior College.
J’y ai fais mes études supérieures en neurosciences et en neuropsychologie. J’ai fait le choix de rentrer et de terminer mes études, ce qui me permettait de me rapprocher de ma famille.

Parcours atypique veut aussi dire que tu as commencé à jouer tardivement au basket ?

Non, ma mère jouait au basket et je viens d’une famille de sportifs. J’ai su tardivement que je voulais en vivre. J’étais en U15 quand je me suis donné cet objectif.

Depuis ton départ de Dijon, tu n’as pas eu de seconde chance en Espoirs Elite. Tu arrives bientôt en fin de cursus de formation, aimerais-tu tenter une dernière saison dans ce championnat ou es-tu satisfait de ce que tu as fait ?

Je suis satisfait de ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant. Il y a un décalage entre certaines équipes en Espoirs Elite et Espoirs Pro B, mais entre d’autres, il n’y en a pas. J’ai joué pour les deux, mais personnellement, je prends ces expériences comme un apprentissage, peu importe la division.
Quand on joue en Espoirs, on se donne comme objectif de jouer le plus vite possible avec les pros. C’est aussi un choix stratégique. Que ce soit Espoirs Elite ou Espoirs Pro B, c’est quasiment pareil.
Il y a un décalage si on prend les équipes du haut de tableau en Elite et du milieu de tableau en Pro B, mais celles du haut de tableau en Pro B se rapprochent. On l’a vu au Trophée du Futur, certains ont pu faire la surprise.

“Si demain tu me dis que je ne marque pas un point, mais qu’on gagne, il n’y a pas de soucis.”

Par choix stratégique, entends-tu qu’il est plus facile d’intégrer les pros avec des équipes en Pro B plutôt qu’avec certaines équipes de Betclic Elite ?

Ce choix compte un peu aussi, puis Poitiers est une équipe très jeune. C’est la plus jeune de Pro B (avec Rouen et Nantes, 24 ans de moyenne d’âge). J’aime la philosophie ici, ils sont toujours dans l’apprentissage, la passerelle entre U18, Espoirs et pros. C’est l’une des plus rapides en centre de formation. En Pro B, c’est très rare de voir un coach qui regarde tous les matchs des U18, des Espoirs etc…
Le rôle que j’ai à Poitiers, celui d’être le plus âgé, le plus mature et avec le plus d’expérience, c’est la première fois pour moi. Je dois leur inculquer les valeurs et la constance à avoir. J’ai connu ça à Dijon avec les 2001-2002, à Vichy avec les 2002-2003 à Vichy, ce sont des petits conseils que l’on m’a donné et que je leur donne aussi.

Jean Vergez-Pascal

Il y a un 2007 avec moi qui s’appelle Jean Vergez-Pascal, qui fait un très bon début de saison, il s’entraîne avec les U18, les Espoirs et les pros. Quand ce sera son tour, je pense qu’il fera la même chose.
J’aime ce rôle, on est une petite communauté, c’est un peu comme une deuxième famille. Le club est proche de tout le monde, peu importe les catégories d’équipe, même les bénévoles sont proches de tout le monde. J’aime cette ambiance, c’est un club familial.

Cette saison, tu domines partout. Tu marques, tu prends des rebonds, tu fais des passes, tu voles des ballons, tes pourcentages à 2 points sont excellents, aux lancers, ça devient très intéressant. Néanmoins, à 3 points, ce n’est pas bon. Quelle importance donnes-tu au tir à longue distance, et est-ce le point majeur à travailler selon toi ?

C’est l’axe principal que je dois travailler dans mon jeu, mais ce n’est pas l’aspect technique de mon tir que je dois travailler. Ce sont les sélections, les décisions à prendre.
Ce n’est pas pensé pour maintenant, mais pour après. Les tirs que je dois prendre doivent être plus efficaces. Je dois comprendre que parfois je ne suis pas obligé de prendre un tir à 3 points alors que je peux aller dans la raquette.
C’est une sélection, des choix à faire, qui sont à améliorer. Mon pourcentage à 2 points fait que je suis agressif quand j’arrive près du cercle, si je vois que c’est fermé, je fais une passe, ou je provoque des fautes pour tirer des lancers. C’est important les lancers car cela donne confiance.

Parfois, il y avait des matchs ou rien ne rentre mais je vais provoquer des lancers, cela me donne de la confiance. C’est assez scolaire, s’il y a telle chose que je ne peux pas faire, il y en a d’autres. Si à travers mes stats, on voit que je suis bon, alors je suis scouté par mes adversaires et je ne peux pas marquer comme je le faisais avant. Je dois apprendre à rendre mes coéquipiers meilleurs, donc je fais des passes. C’est pour cela que mon taux de passes a plus augmenté vers la fin de la première phase / début de la deuxième par rapport au début de la première phase.
Je ne regarde pas les stats, parfois en match, on n’a pas le tableau de score donc je prends ce que j’ai à prendre. Je ne fais pas exprès, j’essaye juste de rendre mes coéquipiers meilleurs.

Dans ces situations où tu prend un tir à 3 points, à quoi penses-tu ? As-tu des pensées, des mots qui te disent que tu dois prendre ce tir ?

C’est une bonne question. Je dirais que je ne réfléchis pas car c’est la pire chose au basket. Si j’ai la balle et que j’ai les sensations, je le prends. Si je commence à réfléchir en me disant que je peux faire ci ou ça, c’est à ce moment-là que j’hésite et que je prend un mauvais tir.
Je préfère prendre un mauvais tir qui touche le cercle, qui provoque un rebond ou en parler à mon coach et qu’il me dise en quoi c’était un mauvais tir et je sais que je ne vais pas le reprendre. Que je sois à 2 mètres ou 9, je ne vais pas réfléchir. Tout est instinctif. Si je vois un défenseur au dernier moment, je fais la passe. Si je vois un coéquipier ouvert, je lui donne le ballon aussi. Même si je peux tirer, mais que mon coéquipier à côté est tout seul, je vais lui faire la passe.

Les stats c’est bien, mais le basket c’est un sport collectif, je dois mettre mes coéquipiers en confiance. C’est le sport collectif le plus individuel car on veut tous briller, mais sans mes coéquipiers et mes coachs, je n’en serais pas là aujourd’hui. Ils me font les passes, me mettent en confiance, m’encouragent si je rate un tir, qui me poussent quand je baisse la tête…
On se pousse les uns des autres mais on veut tous le meilleur de nous-mêmes. Face à Nantes, ce week-end, on a perdu en prolongation, je joue mon jeu en première mi-temps, je suis bon; En seconde période, mes coéquipiers remontent le score pendant que je suis sur le banc. À ce moment, j’étais super content.
Je suis très altruiste, je préfère les belles passes aux beaux dunks. Je préfère une passe décisive qu’un point. Cela lui donne confiance et je ressentirais la même chose derrière, c’est donnant-donnant.
En prolongation, on a pas su mettre les paniers au bon moment, ma sélection n’était pas très bonne non plus. Cela n’empêche pas que l’on fasse un bon match, ce qui me motive pour le reste de la saison.

Tu préfères un match dans lequel tu ne marques pas beaucoup, mais vous gagnez plutôt que de marquer 30 points, mais en perdant.

Largement, je suis un rageux sur le terrain, j’ai des excès de coeur, je veux gagner. Si demain, tu me dis que je ne dois marquer que 5 points pour gagner, je vais mettre les 5 points et je laisse les autres mettre le reste. Si demain tu me dis que je ne marque pas un point, mais qu’on gagne, il n’y a pas de soucis.
J’ai une question : si tu cherches un bon joueur, tu vas regarder ceux qui jouent dans des équipes qui gagnent ou ceux qui ont des bonnes stats mais qui jouent dans des équipes qui perdent ?
Tu vas regarder les meilleurs qui sont dans les équipes qui gagnent. À quoi ça sert que je sois un bon joueur si je joue dans une équipe qui ne gagne pas ? C’est pour cela que je pense à la victoire en premier.

Je suis très content que l’on soit dans la poule haute car cela signifie que nous sommes parmi les meilleures équipes du championnat. C’est un avantage, on va jouer les Playoffs, et on pourra se tester tout au long de la saison. Ce sera un match après l’autre, c’est du one shot. On va forcément jouer une équipe de la poule haute.
On doit analyser mais il ne faut pas se rater. Je me souviens quand j’étais à Vichy, on avait battu Chalon deux fois dans la saison régulière mais ils nous sortent en Playoffs. Parfois, le basket est cruel.

Ton discours montre une certaine maturité, très peu ont cette vision et pourraient accepter de tels rôles ou situations à cet âge.

C’est une vérité, et on peut prendre un exemple tout simple. Tout le monde regarde la NBA. Quand Kevin Durant est arrivé aux Warriors, tout le monde s’est dit que Klay Thompson, Draymond Green et Stephen Curry prendraient moins de tirs, ils ont fait des sacrifices mais ont pris deux titres. Il y en a un (contre Toronto en 2019) qu’ils perdent à cause des blessures, mais cela a été bénéfique pour eux.

Les Golden State Warriors en 2017. De gauche à droite : Stephen Curry, Draymond Green, Kevin Durant, Klay Thompson et Andre Iguodala

Quand LeBron James est arrivé à Miami, cela voulait dire que Dwyane Wade toucherait moins de ballons ou marquerait moins. Il a fait plus de passes et a tout de même brillé en gagnant deux titres avec lui.
Il y a des grandes légendes qui en ont jamais gagné comme Allen Iverson ou Patrick Ewing. On veut tous le Graal et gagner le championnat pour être en confiance et c’est aussi sur cela qu’on dit que c’est le sport collectif le plus individuel. Il reste collectif quand même.
C’est bien d’avoir des équipes avec pleins de fortes individualités mais si elles ne pensent qu’à elles, ils ne gagneront jamais le match.
Si demain, on réunit les cinq meilleurs joueurs du championnat, ils ne gagneront pas tous les matchs. On peut même perdre contre l’équipe la plus faible car ils seront plus collectifs et c’est ce qu’il faut chercher. Dans mon cas, tu me verras jamais marquer dans les 3-4 premières minutes.

J’essaye de leur donner confiance pour qu’ils me le rendent en retour. Il y a des intérieurs qui ne marquaient pas beaucoup de base et qui l’ont fait car je leur donne le ballon. Parfois, il faut parier et je le fais sur mes coéquipiers. C’est avec eux que je m’entraîne tous les jours, ils me font progresser.
Mes deux premières années en Espoirs, je ne l’avais pas compris. Je sais que ce n’est pas bien vu d’avoir fait plein de centres de formation mais j’ai pu voir différentes mentalités et cultures. J’arrive à réunir tout le monde et à en faire ma force grâce à cela.
À Dijon, j’ai appris l’autonomie et l’exigence. À Vichy, j’ai appris le collectif. On peut briller à travers ses coéquipiers.
Je peux parler de Lamelo Ball qui fait beaucoup de passes et qui fait confiance à ses coéquipiers. Cela donne envie de faire pareil.
Cela sert à quoi de marquer un panier, d’être félicité et content de tout ça si ton coéquipier est frustré parce qu’il aurait clairement pu avoir le ballon. D’autres peuvent croire que tu as joué pour toi. On fait tous des mauvais choix, on n’est pas tous parfaits, mais quand on s’en rend compte, cela nous rend meilleurs.

Je suis très casanier, si je sors, je vais à la salle. Quand je suis sur l’écran, soit je regarde un match, soit je joue à la Playstation. Je ne suis pas trop actif sur Instagram, j’y vais pour regarder des résumés en NBA ou en EuroLeague. Tu me verras jamais parler à travers un téléphone et à l’affût des réseaux. C’est pour cela que je ne vais pas trop regarder mes stats etc.. Je pense seulement à écraser mes adversaires et à gagner. C’est ce que l’on veut tous, peu importe combien de points on marque. Si on pouvait recommencer un match comme sur NBA 2K, je le fais tous les jours (rires).

Il y a beaucoup de jeunes dans l’équipe première de Poitiers. Tu t’entraînes avec les pros. Peut-on s’attendre à ce que tu joues quelques matchs avec eux en cours de saison ?

Je l’espère. Si Andrew (Thornton-Jones) pense que je peux être un atout, je serai prêt. J’ai joué en Coupe de France, cela s’est bien passé.
Le premier match amical que j’ai fait avec lui, c’était contre Limoges. Je n’ai pas beaucoup marqué, mais il était très content du rendu. Quand il me donnera ma chance, je vais la saisir.
Quand j’ai accompagné le groupe pro contre Fos, je n’étais pas rentré mais Kevin Harley, le capitaine m’a donné de bons conseils. Il a transformé mon stress en adrénaline. Même si je ne suis pas rentré, je suis content que l’on ait gagné.
S’il pense que je peux être apte à jouer, je serais prêt. Je pense aussi qu’il a confiance en moi sinon je ne jouerais pas tous les jours avec eux. Une saison, c’est long donc on verra mais je pense que oui.

Sur Instagram, tu partages souvent la parole de Dieu et des phrases tirées de la Bible. De quelle façon ta foi t’accompagne dans le basket et dans ta vie ?

Je pense que c’est la même chose pour des personnes d’autres religions. Je dirais qu’elle m’accompagne dans la régularité.
Quand tu es régulier, tu crois en toi et que tu te pousses à faire certaines choses, c’est comme une adrénaline. Cela me donne de la force pour me lever le matin et jouer.
Ma mère est congolaise, et dans sa famille, ils sont très spirituels et croyants. J’ai grandi avec cette éducation. Quand ça ne va pas, il faut remercier Dieu, pareil quand tout va bien. La foi que tu accordes à Dieu, tu peux l’accorder à toi.
C’est une question de mentalité. Même dans mes études, ou dans le basket, c’est 80% de mental et 20% de physique.
Si à 3 secondes de la fin, tu donnes la balle à quelqu’un mais qu’il ne croit pas assez en lui, il risque fortement de le rater. Si tu le donnes à quelqu’un réputé comme moins fort mais qu’il croit fortement en lui, il risque fortement de le mettre.

Les Américains ont une grande confiance en eux. S’ils peuvent marcher la lune, ils le feront.
La foi me rapporte tout cela, mais aussi la santé et le partage. C’est ce que je retrouve dans le basket d’ailleurs avec le fait de partager la balle. Ce que je vis dans ma religion, je le retranscris dans le basket et inversement. C’est comme un calque mais avec des contextes différents.
Je remercie Dieu de pouvoir me lever tous les matins car je pourrais avoir une jambe cassée ou autre chose. Certains n’ont pas la même chance que moi. Certains tueraient pour être à ma place même si je ne suis pas en NBA, EuroLeague ou en Betclic Elite.
Le fait de vivre de sa passion, c’est une chance énorme et ce n’est pas le cas de tout le monde. Quand j’avais 14-15 ans, j’en voulais plus tout de suite et j’étais trop pressé. Je confondais patience et précipitation. Par la suite, je l’ai compris. Mon passé m’a fortifié.
Je prends ce que j’ai à prendre et j’en profite. Ma relation avec mon coach est l’une des meilleures dans ma vie. Je peux avoir des excès de coeur et avoir un fort tempérament, à l’entraînement, une fois, une grosse faute a été faite sur moi, je me suis énervé mais il m’a recadré.
C’est la première fois que je me sens aussi bien sportivement et je n’en demande pas plus.

Crédit photo : Charly Germanaud / Poitiers Basket 86 / NBA

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