Réputé pour être l’un des meilleurs coachs formateurs de France, Romain Chenaud est revenu cet été dans son club de coeur, à l’Elan Chalon. Le jeune formateur français (40 ans) se livre sur sa méthode, ses souvenirs et ses inspirations.
Vous avez décidé de quitter le CSP Limoges cet été en Betclic Elite, pour revenir à l’Elan Chalon en Espoirs. Pourquoi avoir fait ce choix ?
C’est relativement simple. J’avais décidé de devenir assistant il y a quelques années, notamment à Chalon. Une première fois en 2013, puis une seconde fois en 2019. Il y avait des objectifs : le premier, c’était un choix de carrière. J’étais tenté d’avoir un rôle auprès d’une équipe professionnelle. Je voulais voir si ce rôle me plaisait.
L’opportunité de rejoindre un club comme le CSP avec son histoire et cette aura, je considérais que je ne pouvais pas la refuser. Après l’avoir vécu, en avoir tiré des choses intéressantes, j’ai eu une réponse à la question que je me posais : ai-je envie d’occuper cette fonction ? La réponse était non.
Cela m’a conforté dans le ressenti que j’avais, que je devais m’occuper de la formation et de jeunes joueurs. Mon souhait était de revenir vers un centre de formation, il y avait plusieurs options possibles, dont Chalon.
Je me suis dit que c’était l’option la plus intéressante. C’est un club que je connais bien avec lequel j’ai beaucoup d’affinités.
On dit de vous que vous êtes un entraîneur qui ne fanfaronne pas malgré vos prouesses, en sortant des joueurs comme Clint Capela, Nicolas Lang ou encore Mathias Lessort. D’où vient cette sagesse ?
Je pense que c’est lié à ma personnalité et à mon éducation. Cela colle bien avec le rôle de responsable de centre de formation. C’est un rôle dans lequel il ne faut pas attendre de la lumière. Ce n’est pas ingrat du tout, j’y prends beaucoup de plaisir. C’est un travail de l’ombre et qui s’inscrit sur la durée.
Ce n’est pas en étant performant et en travaillant pendant une saison que l’on en récolte les fruits. Au contraire, c’est en travaillant sur trois ou quatre ans qu’il sera validé.
Je suis convaincu que pour réussir une carrière, l’humilité est une valeur très importante. Ils sont dans un contexte tellement concurrentiel et difficile, s’ils n’ont pas l’humilité, ils n’atteindront pas leurs objectifs.
Parmi vos joueurs actuels, qui voyez-vous faire une grande carrière ?
J’ai envie de parler des deux plus évidents puisque ce sont les deux plus âgés. Le premier duquel on parle un petit peu en ce moment, c’est Kyshawn George qui commence à avoir des minutes importantes avec l’équipe première cette saison en Pro B. Je pense qu’il fera une très belle carrière.
Il a du talent, il est très intelligent, il a l’approche d’un champion. Il est dans une situation que je trouve presque parfaite. On croit tous en lui, et le coach de l’équipe professionnelle Savo Vucevic aussi.
On est dans une situation où l’on espère faire monter le club en Betclic Elite, il joue quasiment tous les matchs, il a des minutes. Lorsque l’on connaît la situation de l’équipe, ce n’est pas toujours évident. Le fait qu’il joue montre que l’on croit tous en lui. Il colle parfaitement à l’image que l’on se fait de la formation.
On a juste derrière lui Christopher Manerlax, qui est né en 2002. Il a été ralenti par les blessures ces deux dernières saisons, comme Kyshawn. Après avoir mangé leur pain noir, ils montrent qu’ils sont des garçons à considérer. Christopher est dans un registre très différent. C’est un intérieur très athlétique, solide avec un registre de jeu qui colle parfaitement au championnat de France et à la Pro B.
Je pense qu’on a aussi d’autres garçons qui le deviendront, mais c’est encore trop tôt pour en parler puisque le chemin et l’approche qu’ils doivent avoir, n’est pas encore assez mature.
Avez-vous un modèle parmi les plus grands coachs de l’histoire, ou un système fétiche ?
J’ai eu la chance de croiser pas mal de coachs en professionnel qui m’ont inspiré sur le plan technique. J’ai été assistant de 6 coachs différents donc j’ai essayé d’apprendre de chacun d’entre eux.
Si l’on raisonne sur le plan global, dans mon contexte de centre de formation, je m’inspire beaucoup des coachs en NCAA. C’est le plus connu, donc c’est un peu cliché, mais Mike Krzyzewski à Duke a toujours été un modèle. Il mélange à la fois l’excellence sportive et scolaire. Il le personnalise parfaitement.
Pour le système, non, c’est plus une manière de jouer qui m’inspire. J’essaie de faire en sorte que les tactiques offensives et défensives qu’on utilise soient en règle avec les joueurs qu’on a. Le but, c’est de les utiliser par rapport à la manière dont on veut les développer pas à la manière dont on veut exploiter leurs compétences. On sait où on veut les emmener.
” J’ai toujours considéré que les relations les plus simples étaient directes “
Votre meilleur souvenir : le titre de champion du monde de 3×3 mixte en 2012 ou les titres du Trophée du Futur et du champions des Espoirs en 2013 ?
Je ne peux pas choisir entre les deux. Ce qui s’est passé à l’été 2012 avec l’Équipe de France de 3×3 a été un vrai déclencheur sur l’année d’après.
On a vécu une saison 2011-2012 avec les Espoirs très frustrante. Tous les joueurs qui étaient des membres de cette équipe étaient des joueurs à fort potentiel, et sont devenus professionnels derrière. On a eu des difficultés à ce qu’ils s’expriment bien dans le cadre collectif.
On n’a pas pu participer au Trophée du Futur cette année-là, et forcément une année de remise en cause pour moi.
Partir avec l’Équipe de France de 3×3 a été un vrai bain de fraîcheur. Je remercierai jamais assez Richard Billant de m’avoir sollicité. Le 3×3 était naissant, la dynamique était très forte. L’approche que l’on avait était tournée vers l’esprit positif, la fraîcheur et un côté nouveau de cette discipline.
Je suis revenu très en forme avec beaucoup d’énergie positive, ce qui m’a permis de prendre beaucoup de recul et de hauteur par rapport à la saison que l’on venait de vivre avec les jeunes. L’année suivante, je n’ai fait que surfer dessus, ce qui nous a réussi. L’un a déclenché l’autre.
Que préférez-vous : sortir 2 joueurs professionnels par an pendant 5 ans ou remporter, 5 fois de suite le Trophée du Futur ?
C’est une évidence, sortir des joueurs, c’est ce qui me nourrit. Cela n’empêche pas de leur transmettre l’esprit compétitif. Quand on a été champion de France avec les Espoirs et cadets les années où on l’a été c’était très bien et je ne crache pas dessus. C’était juste la conséquence du travail individuel mené. On avait développé tellement de garçons en peu de temps qu’ils étaient forts.
À aucun moment, la dimension compétitive n’a pris le dessus sur les joueurs. C’était plus la conséquence du développement des joueurs et pas l’inverse. On n’a jamais approché notre centre de formation d’une autre manière. La priorité et le coeur de notre métier, c’est de développer des joueurs pour qu’ils deviennent professionnels, en particulier à Chalon. On espère qu’ils iront plus loin que la Pro B ou la Betclic Elite.
Vous n’êtes pas sur les réseaux sociaux. Pensez-vous qu’ils soient nocifs pour le sport ?
Je considère que j’ai beaucoup d’autres choses à faire dans ma journée professionnelle et personnelle que d’aller sur les réseaux. Je n’ai rien contre même si effectivement pour certains, ce sont beaucoup de temps et d’énergie dilué.
J’ai toujours considéré que les relations les plus simples étaient directes. J’utilise mon téléphone car on ne peut pas faire beaucoup mieux à distance. J’essaie de faire en sorte que l’on puisse rester le plus possible dans les relations directes. Je vois bien de temps en temps que nos jeunes joueurs peuvent être influencés d’une manière ou d’une autre par les réseaux.
Cela multiplie les canaux d’interaction avec eux. Même les interactions au quotidien peuvent être altérées par des milliers d’influences par ailleurs. C’est une situation avec laquelle il faut savoir vivre et s’adapter.
On essaie de les raisonner sur le temps qu’ils y passent et leur utilisation. Chaque début de saison, on les briefe là-dessus. Il faut apprendre à gérer cela, il faut transmettre des choses en tant que responsable de centre de formation, et s’adapter aux générations qui passent.
La première fois que j’ai coaché des U21, c’était en 2007, ça fait un bout de temps. Il s’agit de ne pas être le même coach qu’en 2007, et je ne parle pas seulement sur l’aspect technique, mais aussi sur l’encadrement des jeunes. Il faut essayer de trouver le bon équilibre pour eux et pour nous afin de continuer à mener le projet.
Considérez-vous que c’était mieux avant lorsqu’il n’y avait pas de réseaux, et que les performances n’étaient pas autant médiatisées ?
Je me refuse à le dire et à le penser. Je pense qu’à chaque période de l’histoire, il y a une évolution. On est dans une période d’évolution forte dans la manière dont les jeunes sont éduqués et se comportent. Il faut juste tirer le meilleur de cette situation.
Je ne doute pas qu’il existe plein de moyens de développer ces jeunes dans de bonnes conditions. Effectivement, il faut réguler certaines choses, que ce soit au niveau des réseaux sociaux, sur le rôle prépondérant de la communication. On s’intéresse très tôt aux jeunes joueurs. On parle vite des garçons qui ont 12 ou 13 ans, même le recrutement démarre très tôt.
En France, ce n’est pas trop le cas puisqu’il y a une structure pour les Espoirs, qui existe ,et qui le stabilise. Il y a des clubs espagnols qui recrutent très jeune.
Le football a dû le gérer plus tôt que nous. Ils ont bien réussi puisque beaucoup de footballeurs français émergent au plus haut niveau mondial. Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas, mais il faut réussir à s’adapter.
Le système doit s’adapter, et il faut faire en sorte que le cadre soit sain autour des jeunes. Cela commence par les parents, le club et éventuellement les agents. Ce cadre est le plus important. S’il est solide, ils réussiront à le gérer.
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