Pionnier du rap français et l’un des fondateurs du groupe mythique « Mafia K’1 Fry », Manu Key a quitté le monde de la musique pour se reconvertir dans le basket-ball. D’artiste à entraîneur, Manuel Coudray, de son vrai nom, nous parle de son livre « Le meilleur pour tous, des rimes aux rêves », sorti en septembre dernier. Il revient sur les épreuves difficiles de la vie, une dure dépression qu’il a dû traverser suite au décès de ses parents et de son meilleur ami. Guéri par le basket, ce passionné de la balle orange est animé par une soif d’apprendre et continue de grandir dans ce milieu qu’il a découvert il y a plus de 10 ans.
Un premier ouvrage « Les liens sacrés » sort en 2020. Depuis septembre, « Le meilleur pour tous » est disponible. D’où est venue cette envie d’écrire et de raconter une partie de son histoire personnelle sous forme de livre ?
L’écriture a toujours été en moi depuis 1986-1987. J’ai toujours eu cet amour des mots, de la poésie et des textes. J’ai toujours écrit.
Écrire des livres n’est pas venu tout de suite. Je suis passé par des moments très vulnérables vers 2015. J’étais isolé seul à la maison, malade, je n’étais pas bien du tout mentalement. Je me suis mis à écrire sur du papier blanc tout ce que je ressentais, et ce que j’avais fait dans ma jeunesse.
Je me suis aperçu que c’était une histoire à force d’écrire. J’ai appelé Rocé, qui est un rappeur et un ami. Il m’a dit qu’il connaissait quelqu’un dans la littérature.
Il a essayé de lui en toucher un mot, puis cette personne m’a appelé. L’histoire lui a plu et semblait cohérente. C’était le Covid, puis il y a eu un long cheminement entre le fait de me remettre d’aplomb et de sortir de cet état mental dans lequel j’étais.
Forcément, le livre a été construit avec une vraie cohérence, des chapitres, des images tout en parlant d mon vécu, de ma jeunesse, l’arrivée en France, mon entrée dans la musique, tout ceux avec qui j’ai partagé ces moments… Puis cela a donné « Les liens sacrés ».
Il y a eu une super approche, un rendu positif par rapport au public. Il a été vendu à plus de 5000 exemplaires, ce qui est énorme dans la littérature pour un premier ouvrage et un auteur comme moi dans ce monde que je ne connaissais pas du tout.
Des portes se sont ouvertes pour faire des conférences à droite à gauche, dans des écoles… Cela m’a aidé a parler de mon vécu et de ma passion qu’est le basket-ball, de ce qui m’animait autour du hip-hop, et d’en tirer les meilleures conclusions aux jeunes, et leur donner des billes pour qu’ils puissent s’en sortir dans la vie.
Je ne suis peut-être pas le meilleur exemple mais j’ai un passif fédérateur et constructif. Par la suite, j’ai eu l’envie de continuer avec une suite logique qu’était le meilleur pour tous. Une raison de se dire que l’on doit donner le meilleur pour tout le monde et se lever dans la meilleure dynamique, avec des gens qui partagent l’amour, et parler de mon basket, et de ma reconversion. C’était l’objectif avec ce deuxième livre.
J’ai lié tous ces passages avec des ponts, en disant que j’étais aussi dans la musique.
Je voulais aussi rappeler que dans la musique, il y a aussi l’homme et qui je suis réellement. Je suis papa de deux enfants, capable de combiner sa vie de papa et d’entraîneur de basket-ball.
On y découvre beaucoup de choses, tu parles de la relation avec tes parents, ta fille, tes amis proches, ton amour pour les Antilles, les voyages qui t’ont marqué, ton histoire dans le rap… En te remémorant tous ces souvenirs au moment d’écrire ces oeuvres, tu te dis quoi ?
Oui, il n’y a pas que ça. On a fait de la route, mais tout y est, du bon et du moins bon.
Il y a du vécu, de la joie, et beaucoup de tristesse. On perd des personnes en cours de route, et c’est la vie qui veut cela. Plus on avance, plus les choses se dérouleront ainsi.
Des périodes qui sont difficiles à vivre lorsque l’on apprend que l’on perd des proches. Je suis tombé en dépression car beaucoup de proches sont partis, des gens ancrés dans ma vie comme mon père, ma mère et mon meilleur ami DJ Mehdi. C’était trop pour le jeune homme que j’étais encore. Je n’avais pas encore cette maturité pour me dire que j’allais m’accrocher à cela. Ces gens ont fait partie de ma vie et de mon coeur.
On se dit que dans tous ces écrits, il y a un peu de tout. Il y a des messages percutants et ça donne des signaux aux jeunes, plein de construction et des secrets pour leur dire que l’on passera par toutes ces péripéties et moments de joie que l’on partage tout au long d’une vie.
“La profonde écriture a disparu.”
Plusieurs passages sont très touchants. Tu parles du décès de tes parents, des retrouvailles avec toi-même devant leurs tombes, d’avoir vu ta fille grandir et de l’éducation que tu lui donnes. En tant qu’auteur et parolier, tu voulais aborder ces passages comme des textes de musique ? C’est-à-dire, véhiculer de l’émotion ?
C’était un dur passage à vivre car lorsque j’ai envoyé le livre, terminé selon moi, avec tous les chapitres, mis en forme, à l’éditrice, elle m’a dit :
« Il manque quelque chose dans le livre, cette part d’émotion que tu dois faire ressortir. Je sens que tu as des choses à dire mais tu ne veux pas les livrer. »
Pour moi, c’était un dur combat d’expliquer tout cela. Cette part d’émotion est en moi, je saurais l’écrire mais c’est dur de l’expliquer. Je lui ai demandé de me laisser du temps. Je voulais voir comment je pouvais l’expliquer.
Elle m’a relancé deux mois plus tard, il fallait être prêt à l’écrire. L’importance de ce livre, c’est de savoir prendre du recul, se réorganiser.
J’ai parlé de la profonde tristesse lié au décès de ma mère, de mon père et de DJ Mehdi. J’ai essayé de raconter ma souffrance suite à leurs départs. Le livre s’est conclu avec une certaine émotion.
Il n’y avait pas que cela, mais c’est important de passer par ces moments, de dire que l’on vit plein de choses dans notre vie.
Aujourd’hui, quand on me demande si ce n’est pas dur de quitter le poste d’entraîneur à Orchies, je dis simplement que ce n’est rien, cela fait partie du métier. Je rentre chez moi je retrouve ma famille, ce ne sont que des futilités.
On vit pour cela, pour plein d’expériences, des échecs, des choses joyeuses. Mon moment de réussite, je l’aurais.
Ce sont des expériences de vie dans le travail. J’en connais beaucoup qui ont eu des dépressions en se retrouvant seul, sans emploi, sans maison etc…
J’ai su qu’il fallait que je m’organise s’il se passait quelque chose.
Parlons un peu de rap. Tu es considéré comme un pionnier du hip-hop français, l’un des fondateurs d’un groupe mythique : Mafia K’1 Fry. Quand tu vois l’évolution de certains artistes de ce collectif comme Rim’K, Kery James, Rohff… Tu es toujours sensible à leur musique ?
La musique me parle de moins en moins. J’écoute plus du rap américain maintenant, mais je m’informe tout de même de ce qu’il se fait, surtout dans le rap français et lorsque cela concerne des gens de mon collectif.
Kery a pris un peu de recul par rapport à l’album, donc il va se remettre à enregistrer progressivement. Rim’K, j’écoute un peu, Rohff aussi évidemment.
Je suis moins sensible à ce qu’il se fait dans le rap français, je suis beaucoup plus branché vers le rap américain. Je suis content de voir que certaines personnes continuent d’évoluer dans leur art, mais je ne suis plus trop en connexion avec le rap français.
Dans cette nouvelle génération, il n’y a pas un artiste que j’écoute.
Tu dis dans ce livre que tu aimes quand un morceau est construit avec le fond et la forme qui va avec, de la bonne écriture, du sens, qu’on puisse raconter ou comprendre quelque chose à travers la chanson. Tu retrouves un peu plus cet aspect dans le rap américain ?
Je le retrouve plus dans le rap US, car des artistes comme Kendrick Lamar ont compris que ça passe plus par l’image. L’écriture passe par ce qu’il imagine dans son cerveau, et qu’il puisse le faire ressentir au public avec de l’émotion.
Dans le rap français, je ne ressens plus cet aspect. La profonde écriture a disparu pour moi. Selon moi, il y en a qui savent encore le faire, mais il y a trop d’artistes.
Aujourd’hui, les gens consomment la musique d’une façon qui ne concorde pas avec l’écriture. Cela me projette a dire que ce n’est plus comme avant.
Maintenant, le rap est vulgarisé, tout le monde peut en faire. Comme je le disais dans mon livre, on peut faire un morceau du jour au lendemain. En trois heures ou une journée, on peut faire un album.
On se perd en ce sens à vouloir aller trop vite, et ne pas prendre les choses au sérieux.
Dans cette autobiographie, tu évoques ta dépression. Tu racontes avoir guéri en te concentrant sur ta deuxième passion : le basket. Dirais-tu qu’il t’a sauvé la vie ?
Il n’y a pas que le basket. Tout ce chemin, et ces expériences humaines m’ont sauvé la vie.
On est animé par notre passion, chaque jour, tu vas à l’entraînement en côtoyant des personnes et des personnalités. Il y a des discussions qui s’animent avec des gens qui ont déjà une grande expertise dans ce métier. Cela te pousse à te concentrer et à t’améliorer.
Cela efface ces moments de doute, de solitude et de tristesse.
Le basket a eu une grande importance dans ma régénération, et à me concentrer sur ma vie.
Crédit photo : Vice (Mafia K’1 Fry)