Ancien joueur du club, Dounia Issa revient à Vichy sous la casquette d’entraîneur. À 43 ans, l’ancien de la JAV va connaître sa troisième expérience en tant que coach. Il arrive dans l’Allier plein d’ambitions, et surtout, avec la volonté de poursuivre dans la même voie que son prédécesseur : celle de développer les jeunes talents du basket français.
Il nous parle de sa philosophie, de sa progression dans ce métier suite à son passage au MSB, et du challenge que représente le développement de la jeunesse.
À Pont-de-Cheruy, vous avez toujours disputé les Playoffs en dirigeant une équipe jeune. Vous arrivez à Vichy, un club dans lequel Guillaume Vizade avait instauré une politique sportive visant à développer les jeunes talents. Vous comptez poursuivre sur cette voie ?
Bien sûr. C’est l’idée, et aussi celle des dirigeants de la JAV d’être dans la continuité de ce projet en passant de Guillaume à moi.
Ces dernières saisons, la JAV a axé sa politique sportive sur le recrutement des jeunes joueurs et de les développer.
C’était le point d’exclamation de cette politique cette saison car c’était l’équipe la plus jeune de Pro B (24 ans).
Les années d’avant, ce n’était pas toujours comme cela, il y avait des jeunes mais pas autant que cette saison. Il y avait cette volonté d’aller dans le sens de la formation.
Aujourd’hui, nous connaissons 5 joueurs de l’effectif 2024-2025 (Sebastien Cape, Ugo Doumbia, Damien Nseke Ebele, Cédric Bah et Lucas Dufeal). Quels sont les types de joueurs que vous visez lors de cette période de recrutement ?
La première chose est de chercher des joueurs qui ont des valeurs avec lesquelles nous sommes alignés. Les qualités humaines et de valeur sont importantes à mes yeux dans le projet sportif que l’on souhaite développer.
C’est la première chose que je regarde, ensuite, on avance sur les profils sportifs. Ce que l’on veut construire, c’est une équipe qui répond à toutes les problématiques que peuvent nous poser les adversaires. Une équipe complémentaire, avec du volume physique, mais avec des caractéristiques techniques répondant à ces problématiques.
On veut un effectif où les postes sont doublés partout, complémentaires, et dans laquelle ils peuvent transiter d’un poste à l’autre. On veut une équipe polyvalente.
Avec toutes ces combinaisons : humain, physique, technique et polyvalence, tu as une idée du type de joueur que l’on recherche.
Parmi nos deux premières recrues (Nseke Ebele et Doumbia), ce sont deux joueurs avec beaucoup de volume physique, une capacité à défendre sur des extérieurs comme sur des intérieurs. Ugo est très bon sur les switch, Damien peut garder des guards comme des bigs. Ce sont des caractéristiques que l’on recherche dans le jeu moderne. Tous les deux sont capables de s’adapter à plusieurs types de défense, que ce soit sur du switch, du homme à homme ou de la zone, ils ont beaucoup de mobilité.
Ils ont aussi leurs caractéristiques propres au niveau individuel. Un garçon comme Damien est très intéressant puisqu’il peut jouer le post-up, mais est aussi fiable à 3 points. Peu de joueurs ont les deux. Il a ce profil rare capable de combiner ces deux qualités avec régularité.
Ugo peut défendre du poste 1 au 3 et peut facilement switcher sur des gros gabarits. Pour un extérieur, c’est précieux. Il a aussi une grosse force de percussion pour franchir, cela demande de la création. Son tir extérieur est en progression. C’est un couteau suisse, et on espère le développer dans le jeu d’attaque.
Vichy sort d’une saison en étant 2e de régulière, en plus d’un titre en Leaders Cup. Tu vois en cette équipe la probabilité de faire aussi bien ?
Chaque équipe a sa propre histoire. Il ne faut pas oublier que Guillaume et son staff ont construit un projet sur 7 ans pour arriver à ce résultat.
On va essayer de garder un maximum de joueurs présents cette saison pour garder cet état d’esprit de gagnant et poursuivre sur la même continuité. L’équipe de l’année prochaine aura sa propre identité et sa propre histoire.
Bien sûr, nous restons des compétiteurs, et nous voulons rester dans des standards élevés.
Comment optimiser notre potentiel ? Quelle sera notre progression ? Quelle saison on fera ? Beaucoup de paramètres invisibles nous le diront.
Arrivera-t-on à faire mieux ? On le saura en fin de saison prochaine. Comme je le disais au début, il ne faut pas oublier que le résultat de la dernière saison avec Guillaume est un processus de 7 ans.
“Je manquais d’expérience et de vécu en tant qu’entraîneur.”
Des joueurs du centre de formation seront amenés à évoluer avec l’équipe première ?
Oui, on a un jeune poste 3 : Kylan Castaings-Otto, ce n’est pas encore officiel mais il devrait normalement se réengager avec nous, et signer un contrat stagiaire.
Les jeunes auront une vraie fenêtre, et elle ne sera jamais fermée. Je vois trop souvent des situations dans lesquelles les fenêtres sont fermées dans les temps faibles. Par la suite, on trouve ça comme excuse pour dire que le joueur n’est pas au niveau. Je pense qu’il faut la laisser ouverte en permanence, que le coach puisse l’accompagner dans ses temps forts et faibles. Kylan fait partie de ce process.
Il sera dans les 10 + 2. Les deux jeunes joueurs qui seront intégrés à l’équipe professionnelle auront toutes leurs chances pour exprimer leur potentiel.
Vous avez eu votre première expérience d’entraîneur au Mans en 2019, qui n’a duré que quelques mois. Vous êtes sans club pendant 2 ans, puis vous reprenez Pont-de-Chéruy pendant trois ans. Que vous ont appris ces différentes étapes de votre parcours ?
Le Mans, c’était une étape qui m’a fait beaucoup progressé. Il est jamais agréable de quitter un projet pour lequel on avait beaucoup d’ambitions, mais cela m’a permis de réaliser que je manquais de beaucoup de choses. Je manquais d’expérience et de vécu en tant qu’entraîneur. Ce n’est pas quelque chose qui s’improvise. J’avais de bonnes idées mais je manquais de méthodologie.
Il me manquait plein de choses dans la mise en place, l’expérience, la philosophie. Mon projet n’était peut-être pas encore totalement abouti. Le bilan n’était pas catastrophique, c’était 3 victoires – 8 défaites, mais pour une institution comme Le Mans, cela leur a fait peur et j’ai compris le choix des dirigeants.
Cela fait partie des choses qui forgent un homme, il faut apprendre à encaisser. Il faut accepter que l’on n’était peut-être pas au niveau et que ce n’est pas la fin du monde pour autant.
Je suis reparti sur un projet humble, pour progresser en tant qu’entraîneur et passer les échelons. J’ai pu le faire à Pont-de-Chéruy pendant trois ans, cela m’a été très bénéfique aujourd’hui.
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre à Pont-de-Chéruy. C’était un club avec des structures de N3-N2 qui joue en N1.
C’était un vrai challenge pour moi, car il a fallu construire beaucoup de choses, que ce soit dans le médical ou la préparation physique. On n’avait pas beaucoup de moyens, donc il a fallu recruter beaucoup de jeunes joueurs. Sans être injurieux envers eux, ce n’était pas forcément les jeunes joueurs qui étaient dans le haut du panier en sortant du centre de formation.
Il a fallu les faire progresser, avancer, et travailler sur le plan technique, physique, émotionnel et mental. Parfois, cela manquait de confiance et d’ambition.
Ce furent trois années positives, on a pu accompagner des garçons de façon à ce qu’ils continuent de progresser.
Je pense à Jacques Eyoum qui est passé d’un poste 4-5 à un poste 3, qui a joué en Pro B cette saison (Lille). Je pense à Seydou Ndiaye qui a commencé en tant que 3-2, et maintenant c’est un meneur. Je pense à Bryan Coudray qui est selon moi un vrai joueur de N1, voir de Pro B. Je pense à Lucas Thevenard qui était un poste 5, maintenant c’est un 4. Il y a aussi Yasmin Mambo qui est descendu en N1 puis remonté en Pro B avec un vrai impact.
Il y a beaucoup de jeunes joueurs comme ça qui nous ont aidé à être performant, et que l’on a aidé dans leur projet individuel à trouver le bon poste et à être performant.
C’était une expérience très enrichissante. Je suis content du résultat sportif et humain.
Dans la façon d’être, de gérer son projet, dans la perception des choses, abordes-tu de la même façon le métier d’entraîneur que celui de joueur ?
Il y a forcément des différences. Avec l’âge et l’expérience, on n’est plus exactement la même personne. Le score et les fondations restent les mêmes.
Lorsque j’étais joueur, j’étais très tourné vers les autres, le collectif, j’étais le compétiteur qui voulait que l’équipe véhicule des valeurs.
Je défendais cela en tant que joueur, et je le défends en tant qu’entraîneur. Quand tu es joueur, tu peux le défendre car tu es au coeur du groupe, tu as la parole, et tu es au coeur de l’action. En tant qu’entraîneur, tu actionnes encore plus le levier. Tu as le discours, tu inculques les valeurs, tu fixes le cadre et qui gère le climat émotionnel de l’équipe.
Je peux avoir encore plus avoir d’impact en tant que coach pour véhiculer les valeurs importantes à mon groupe.
“Parfois, on se retrouve avec des joueurs d’expérience qui vont poser d’autres problèmes.”
La saison passée, on a vu beaucoup de jeunes avoir des minutes et des responsabilités en Betclic Elite ou en Pro B. Pensez-vous que les jeunes générations sont meilleures, ou simplement les coachs n’ont plus peur de prendre ces « risques » ?
Il y a un peu des deux. C’est intéressant pour des coachs comme moi qui ont cette philosophie. Il y a aussi une histoire de marché. Parfois, il y a plus de jeunes joueurs prêts à jouer et disponible, parfois, il y en a moins. Il faut un peu un mix de tout ça pour arriver à une situation comme celle de cette saison.
Ce qui est sûr, c’est que les jeunes ont beaucoup avancé et les générations de coachs leur font de plus en plus confiance.
Il est possible qu’en Europe, nous ayons le plus grand réservoir de jeunes derrière les États-Unis. Il faut valoriser cela.
Lorsque la structure d’équipe et la philosophie de jeu le permet, il faut essayer.
Je ne dis pas que c’est toujours possible, ni qu’il faut absolument le faire, mais quand c’est possible, il vaut mieux aller dans cette direction selon moi.
Beaucoup d’entraîneurs parlent souvent de la pression des résultats, ce qui fermait la porte aux jeunes et provoquait des départs massifs. Aujourd’hui, plus de jeunes restent en France, cela signifie-t-il que la pression des résultats est plus faible ?
Non, elle est toujours présente, sinon tu ne fais pas ce métier, et tu vas dans un bureau.
Les résultats et la pression font partie de notre sport. Je pense qu’à partir du moment où tu récupères un jeune joueur, tu dois te demander si tu es capable de lui faire atteindre son potentiel, et de suffisamment le faire progresser afin que l’équipe soit compétitive.
Si la réponse est affirmative, autant tenter le projet. Si elle est négative, de par sa philosophie, sa capacité à entraîner, son projet de jeu, il ne se sent pas capable de faire progresser un gamin il doit rester en accord avec lui-même, ce n’est pas grave, ce n’est pas la fin du monde.
Il faut simplement se poser les bonnes questions. On parle beaucoup de la pression des résultats, mais parfois, on se retrouve avec des joueurs d’expérience qui vont poser d’autres problèmes. Il peut être rassurant sur le coup, mais sur le long-terme, tu n’as pas toujours le retour sur investissement. Avec les jeunes, c’est exponentiel, cela peut aller au-delà des attentes, c’est ce qui est excitant.
Crédit photo : Dominique Breugnot / SOPCC Pont-de-Cheruy