ITW Christian Corderas (Antibes Sharks) : le requin au coeur tendre

- 30 janvier 2023

Directeur du centre de formation des Sharks d’Antibes, Christian Corderas est considéré comme l’un des meilleurs coachs formateurs français. À seulement 40 ans, il a réussi à accompagner quelques beaux noms du basket français jusqu’au plus haut niveau.

Vous êtes l’un des meilleurs coachs formateurs français. Que préférez-vous : gagner un titre ou sortir des joueurs professionnels ?
Je ne sais pas si je suis l’un des meilleurs (rires). Ce que je préfère, c’est de sortir des joueurs professionnels. C’est l’intitulé de mon emploi, et ce pour quoi on travaille tous les jours.
Le titre, c’est en plus. Bien sûr, c’est gratifiant, mais le fait de sortir des joueurs, nous confronte à ce que l’on cherche tous les jours. Je pars du principe que les résultats collectifs arrivent si on travaille bien individuellement sur le joueur. C’est-à-dire, plus on travaille sur le fait que le joueur performe, et soit performant, plus nos équipes sont fortes. Mieux on travaille avec le joueur, plus on arrive à exploiter son potentiel individuel.
Aujourd’hui, dans les championnats de France en jeunes, bien sûr qu’il y a une part de tactique, mais le travail individuel et la performance se reflètent.

Considérez-vous avoir un rôle de grand frère pour les jeunes ou gardez-vous une relation entraîneur / joueur ?
Je vais dire un peu des deux. Dans le staff, nous sommes trois, et tout le travail réalisé est collectif.
La relation avec nos joueurs évolue au fil des années. Quand ils rentrent en U15 ou U16, forcément, la relation entraîneur / entraîné prend le dessus. Plus les joueurs évoluent, prennent de l’âge, plus la relation évolue. Ils comprennent donc que la dureté aux entraînements, et l’exigence est pour eux. Je leur dis souvent « moi j’ai un emploi, vous vous en avez pas ». Je prends le centre de formation comme une école. On les fait évoluer, en même temps de leur faire passer leurs classes, de U16 à U17, de U18 aux Espoirs.
Je n’ai jamais été le grand frère de personne, mais il y a des relations qui débordent sur de l’amitié. J’ai des joueurs qui vont se marier, qui attendent un enfant, puis je les accompagne.
Pour d’autres, on continue de les accompagner sur les performances. C’est également en fonction des personnalités et du feeling. Nous sommes tous des hommes, parfois, on peut avoir un feeling un peu plus accroché et accrocheur avec certains qu’avec d’autres.

 » La France sera, je pense, la nation phare du basket mondial « 

Vous dîtes que le centre de formation est comme une école. Votre rôle est-il plus axé vers l’éducation que le coaching ?
Il est clairement centré sur les deux, surtout dans les règles de vie que l’on a sur le centre de formation d’Antibes. En plus de former des joueurs, nous formons des hommes. J’accorde beaucoup d’attention à ce que l’on fait humainement. Il y a des garçons qui sont là, et sans leurs parents. Il y a également cette base éducative qui est nécessaire, et indispensable au développement humain. S’il ne se fait pas, il n’y aura pas de performance sportive.
Ce que je veux, c’est que mes joueurs soient heureux. Il faut donc qu’ils rentrent dans notre cadre, et qu’ils le comprennent. On commence par une base éducative dans les relations, les façons de faire. Cela peut aller très vite, il y a des joueurs avec qui cela se passe très bien. Effectivement, pour certains, nous devons leur parler de notre façon d’être, ce qui est très important.
Je suis pointilleux sur les horaires, la politesse, le respect des gens, envers les éducateurs, le staff, les coachs, les coéquipiers, le gardien de la salle etc… Je suis intransigeant sur cela. Ceux qui ne passent pas ce cap-là, ne passeront jamais avec nous le cap sportif. Pour performer dans le centre de formation, il faut y être intégré.
J’en suis à ma 11e année en tant que responsable du centre de formation d’Antibes. Aujourd’hui, je peux en faire un bilan, ce sont clairement ces joueurs en question qui ont passé ce cap avec nous. Il faut bien le prendre comme un apprentissage. Ce sont des objectifs à court et moyen terme, il y a des joueurs lorsqu’ils arrivent, ils ne sont pas formatés comme on le souhaiterait. Au bout d’un an, voir un an et demi, à force de façonner, on y arrive.
On cherche à ce qu’ils comprennent où on veut les emmener, par des objectifs simples et atteignables, sur le sportif ou à côté. Ces joueurs ont la compréhension du parcours et des marches qu’ils doivent atteindre pour franchir les étapes.


De gauche à droite : Isaïa Cordinier, Jean Louchet, Timothé Luwawu-Cabarrot, Christian Corderas, Paul Lecurieux Lafayette

Vos deux anciens protégés (Timothé Luwawu-Cabarrot et Isaïa Cordinier) jouent l’Euroleague cette saison. Aimeriez-vous les recoacher au niveau professionnel ?
(Rires). Ce serait fantastique, cela arrivera peut-être dans leurs dernières années de carrière. Aujourd’hui, ce n’est pas mon objectif. Je préfère les voir performer en NBA, en Équipe de France, en Euroleague. Ce sont maintenant mes amis, on a une relation autre que « entraineur / entraîné ». Le plus gros succès de ma vie aujourd’hui, c’est la Draft de mes deux petits. C’est un aboutissement incroyable du travail effectué en centre de formation. Quand j’en parle, j’en ai encore des étoiles plein les yeux. Je ne me serais jamais attendu d’avoir deux joueurs sélectionnés à la Draft NBA, cinq ans après mon arrivée.

Lorsque l’on parvient à accompagner des joueurs depuis le centre de formation jusqu’à la Draft NBA, se dit-on que l’on a tout réussi ?
C’est ce que je me suis dit immédiatement ! J’ai atteint mon objectif ultime. Dans ma tête, j’ai toujours voulu accompagner un joueur jusqu’à la Draft. Mais finalement, non. Mon challenge aujourd’hui, c’est de le refaire.
Killian Tillie est arrivé en NBA. Hugo Besson a été drafté aussi, on ne l’a au qu’une année, mais on le connaît bien. J’ai d’autres joueurs qui ont du potentiel, et j’espère qu’ils y arriveront un jour.
On y travaille, on se fixe de nouveaux objectifs. Tout cela nous met du baume au cœur, de l’entrain dans le travail qu’on effectuera. Si on y réussit encore dans un an, deux, trois ou quatre, peu importe, ce sera encore une énorme fierté. C’est un long cheminement. Je n’ai jamais aucun joueur qui sort du centre de formation, et qui va directement en NBA.
Le mot que j’emploie le plus, c’est « accompagnement ». C’est-a-dire, comment je vais accompagner un joueur, dans la transition vers le monde professionnel. Après, c’est son histoire à lui. Je ne l’entraîne plus, même s’il y a des joueurs que j’entraîne encore individuellement, mais c’est son histoire. On va voir comment se passe sa transition vers le monde professionnel, vers la performance avec une équipe de ce niveau. C’est vraiment un accompagnement, si le joueur en a envie, est d’accord. Il y en a, dés qu’ils sortent du centre de formation, ils n’en ont plus besoin.
Aujourd’hui, le plus important, c’est que ceux qui en sortent aient les armes techniques, tactiques, et la force mentale pour basculer au niveau professionnel. C’est difficile, et les exigences sont très hautes.

Les jeunes en Équipe de France ont de bons résultats, les A sont vice-champion d’Europe, et vice-champion olympique. La France compte de nombreux joueurs à l’étranger. Pourquoi sommes-nous si performants ?
Pourquoi sommes-nous si performants ? (Rires). La question est vaste et compliquée. La pluri-culture de la France est un facteur très dominant à la performance. On a des formateurs de qualité, des joueurs qui ont un potentiel incroyable. C’est l’équation et l’addition de tous ces facteurs, qui fait que la France sera, je pense, la nation phare du basket mondial dans les années à suivre.

Même devant les États-Unis ?
Pourquoi pas ? Je pense qu’on peut les jouer partout. Quand je revois la finale des Jeux Olympiques, ça passe à deux coups de sifflet.
Quand je vois notre classement en Équipe de France jeunes, on performe dans toutes les catégories. Aujourd’hui, on va les jouer les yeux dans les yeux. Ce qui est important, par rapport à ces résultats, c’est qu’on a pris conscience qu’on pouvait les battre de partout. Avant, il y avait une petite barrière mentale. On se disait avant de jouer les États-Unis « il ne faut pas perdre ». Aujourd’hui, l’objectif c’est de gagner. Il y a beaucoup de facteurs. Je dirais que c’est plus une question de mindset. On a de bons joueurs, de bons coachs, une formation qui marche. Bien sûr, elle pourrait encore s’améliorer, je ne dis pas que tout va bien.
Dans ce que je vois, par rapport aux performances, aux façons de jouer, et les qualités individuelles des joueurs, nous n’avons rien à envier aux USA.

 » Je me considère comme un entraîneur encore en formation « 

De plus en plus de jeunes joueurs français souhaitent partir à l’étranger sans avoir dominé dans le championnat national. Comment l’expliquez-vous ?
Il est difficile de faire jouer un jeune joueur dans un championnat professionnel. Quasiment tous les coachs ont pour obligation d’avoir des résultats.
Je me mets à la place d’un coach, entre faire jouer un jeune à potentiel, et un joueur mature dont on est sûr de la performance, en parlant de plancher et de plafond, le jeune a un plafond plus élevé, mais un plancher sur une performance qui peut être basse. Pour un professionnel, d’un âge mature, on réduira ce côté-là. C’est parfois difficile de lancer des jeunes.
Si on arrivait à mettre en place des règles, pouvant faire jouer les jeunes, formés localement avec un nombre minimum, ce serait intéressant.
En ce moment, je suis la Pro B, il y a énormément de jeunes joueurs qui jouent et qui sont performants. Pourquoi pas en faire un championnat de développement, en réduisant le nombre d’étrangers, et en faisant jouer des jeunes issus du centre de formation propre au club. Cela permettrait de faire la transition vers le monde professionnel.

Si vous n’étiez pas coach de basket, que seriez-vous aujourd’hui ?
Je n’ai jamais été un bon joueur. Très tôt, je me suis demandé comment je pouvais vivre de ma passion, tout simplement en étant entraîneur. Je me suis projeté très vite.
Ma passion, c’est le sport en général, donc je dirais que je serais peut-être entraîneur d’un autre sport. Quand j’ai commencé, j’étais éducateur sportif à Albertville. Je travaillais dans les collèges, lycées, je donnais des cours de sport aux enfants. Je leur faisais faire du foot en salle, on travaillait sur énormément de projets éducatifs et sociaux. Cela m’a vraiment plu. Lorsque j’ai arrêté pour partir vers ce que je voulais faire, ça a tout de même été un crève-coeur. Je m’éclatais avec ces jeunes.
Je serais sûrement éducateur, dans la transmission. Ce qui m’importe, c’est le rapport humain que l’on peut avoir avec eux, les aider, les éduquer et leur montrer le chemin pour être une meilleure personne.
Pour moi, c’est important, j’essaie d’en faire de même avec mes enfants. Cela représente 100% de ma vie.
Je regarde tous les sports, j’ai toujours un podcast dans les oreilles quand j’ai du temps, parlant de sport. Je ne m’intéresse pas seulement à la performance. Il y a aussi la vie des athlètes, des entraîneurs, les préparations, les entraînements. Je m’informe et j’en fais profiter à mes jeunes. J’ai toujours une voix dans ma tête qui me dit « est-ce que ça peut servir pour le boulot, est-ce que ça peut aider un joueur, nous servir et à moi aussi ».
Aujourd’hui, je me considère comme un éducateur sportif, un entraîneur encore en formation. Je regarde, j’apprends, je m’informe, et je développe petit à petit cette base technique et tactique dans ma tête.
Je considère que rien n’est acquis. Dans le staff, tous les ans, nous essayons de faire évoluer les choses, d’améliorer. Parfois, on y arrive, et d’autres non, et nous sommes assez humbles pour le reconnaître.

Crédit photo : Antibes Sharks

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