ITW Babacar Mbye (ASVEL) : « En Espagne, ils ne limitent pas leurs joueurs »

- 3 mai 2023

Auteur d’une très belle saison avec les Espoirs de l’Asvel, Babacar Mbye enchaîne les belles performances depuis quelques semaines. Homme fort de cette équipe, il s’impose comme l’un des favoris au titre de MVP pour la saison 2022/2023.

Après le départ de Noam Yaacov et l’ascension de Zaccharie Risacher, c’était à ton tour de porter l’équipe. Étais-tu préparé à ce que tu aies des responsabilités aussi vite ?
Oui j’étais préparé, le coach m’en a parlé en début de saison. Il m’a dit que je faisais partie du projet, étant donné qu’on savait que Zaccharie serait avec plus avec les pros qu’avec nous. La base du projet, c’était moi, Noam, Noah Manet et François Wibaut. Les leaders devaient être Noam et moi donc j’étais déjà prêt depuis le début.
En plus, je n’étais pas sûr de continuer à l’Asvel cette année, je voulais tenter autre chose ailleurs. Sauf que le coach est venu me voir, il m’a convaincu de rester. Il nous a donné les rênes de l’équipe, et j’ai relevé le défi.

Tu as dit que tu n’étais pas sûr de rester, où souhaitais-tu aller ? Et quel a été le discours du coach pour te convaincre de rester ?
L’année passée, je n’étais pas content de ma saison, je trouve qu’elle était moyenne par rapport à ce que j’attendais. Il y avait des pistes mais mon agent n’a pas voulu communiquer car il ne voulait pas que je parte de l’Asvel.
Le coach précédent (Pierre Parker) est parti, Anthony (Brossard) est arrivé, il m’a dit que je devais être plus utilisé. Il voit que je suis dominant, que je peux être le big men le plus dominant du championnat, qu’il me donnerait les clés pour y arriver. Il a tenu ses promesses.
J’avais un bon feeling quand il me parlait, ce n’était pas des paroles en l’air. Je lui ai fait confiance et je n’ai pas regretté.
À mon poste, personne n’est devant moi. Je suis 3e au scoring si tu enlèves Bilal (Coulibaly) étant donné qu’il ne fait plus parti de la course. Au rebond, je suis le premier largement, en évaluation, pareil, je suis aussi le 3e au contre. Donc, j’ai fait le bon choix.

Depuis quelques semaines, tes performances font de toi le meilleur joueur du championnat sur chaque journée. Aujourd’hui, as-tu un plan tout tracé pour la saison prochaine ?
Oui, j’en tiens compte. Je ne suis plus le joueur que j’étais il y a quelques mois ou quelques années. Tout le monde parle du fait que je suis un candidat sérieux au titre de MVP. Les données ont changé en ma faveur.
En ce qui concerne la saison prochaine, je ne suis pas un joueur de l’Asvel à la base. Je suis un joueur de Boulazac, j’ai été prêté. Boulazac veut me signer à nouveau, ils sont prioritaires donc s’ils veulent me proposer un contrat, je ne peux pas refuser. Si je reste avec eux, ou que je demande un prêt peu importe, je verrais ce que l’on me propose. Avec mes agents, on va discuter de ce que l’on va faire. Pour le moment rien n’est décidé.

 » Je considère l’Espagne comme la meilleure nation de basket. « 

Pendant 5 ans, tu as évolué dans l’académie espagnole de basket (basée à Madrid). Dans les catégories U18 et U20, ce pays est dans le top 3 des nations les mieux récompensées. Aujourd’hui, dirais tu que tes adversaires étaient plus redoutables en Espagne ?
Le style de jeu espagnol et français est très différent. En Espagne, c’était très tactique, la balle bouge. Les joueurs sont plus forts collectivement qu’individuellement. En France, c’est très physique.
Je pars du principe que si tu domines dans le championnat français et que tu as un bon QI basket, il n’y a pas moyen que tu te fasses mal en Espagne.
Dominer en Espagne ne veut pas dire que tu vas dominer en France, ce n’est pas la même chose.
Je me souviens, quand je suis arrivé en France, j’avais quelques difficultés. Sur le plan physique, ce n’était pas du tout la même chose. Ici, on t’apporte un impact physiquement et en Espagne, ce n’était pas le cas.
Là-bas, c’est plus des shooteurs. Cette saison, dans le championnat Espoirs, je peux te citer tous les noms des big men, il n’y en pas un qui shoot. S’il y en a un, au minimum, il shoot à 2 points.
Ce n’est pas pour me jeter des fleurs, mais, moi, qui peut tirer à 3 points, je ne vois aucun joueur à mon poste faire la même chose. Je l’ai développé en Espagne.
Là-bas, c’est normal de voir un poste 5 qui shoot comme un meneur, en France, ce n’est pas normal.
Il y a une différence au niveau des mentalités aussi. Si tu vois un poste 5 shooter à longue distance en France, tout le monde va se dire « mais qu’est-ce qu’il fait ? ». En Espagne, non, c’est normal, puisque tout le monde travaille de la même manière.

Ces caractéristiques sont-elles les éléments clés qui font de l’Espagne la meilleure nation de basket, selon le classement FIBA ?
Oui, personnellement, je considère l’Espagne comme la meilleure nation de basket. Ils ne limitent pas leurs joueurs. Ils t’apprennent tout, à shooter, dribbler, jouer au poste, ils ne laissent rien passer.
En France, et dans d’autres pays aussi, on te dit que si t’es un intérieur, tu ne dois faire que ça. Si t’es meneur, tu ne dois faire que ça. Pour moi, ce n’est pas ça le basket.
Si tu regardes bien, lors de la dernière Coupe d’Europe, l’Espagne n’avait pas la meilleure équipe individuellement parlant. Même les Espagnols ne pensaient pas gagner. Tout le monde voyait la France ou la Serbie. Finalement, tu as bien vu ce qu’il s’est passé. Ce sont les frères Hernangomez qui ont fait mal, des intérieurs qui shootent.
Les mentalités en Espagne et en France sont très différentes. Si la France commence à voir les choses de la même façon, alors, le basket va beaucoup évoluer.

La France est-elle en retard à ce niveau ?
Sur ce plan, oui, forcément. Il y a un retard. S’ils arrivent à passer ce cap, il n’y a pas de raison à ce que le basket en France n’évolue pas. Tout cela ne peut que faire progresser la France.
Si tu prends l’exemple de Victor (Wembanyama), que les gens ne considèrent même pas comme un big men, ou d’autres comme Kamagate, Makoundou etc… Ils ne peuvent que faire évoluer le basket français.
Je pense qu’ils doivent développer d’autres aspects comme ce que je t’ai dit juste avant. C’est-à-dire, qu’un big men puisse dominer à l’extérieur comme à l’intérieur. Si les équipes savent que tu ne domines qu’à l’intérieur, ils vont trapper et le jeu est mort pour lui.
Les Serbes, eux l’ont compris, mais en France, ce n’est pas le cas. Sur tous les jeunes que je t’ai cités, le seul qui shoote c’est Victor. Lui, il est spécial. Les autres, eux, sont un peu plus limités. Que ce soit en points, rebonds, contres, évaluation il domine de partout, parce qu’il est à l’aise. Cela te donne plus de confiance, l’équipe adverse ne peut rien faire.
La majeure partie des intérieurs, dès qu’ils sont confrontés à un autre intérieur qui peut shooter et qui joue dans la raquette, ils ont un problème.
Ils se disent « je ne sais pas ce qu’il va faire, s’il va driver ou shooter ».
En France, les gens sont préparés à ce qu’il y ait un combat dans la raquette. Donc, si tu es confronté à quelqu’un qui te propose de t’éloigner, tu ne sais plus quoi faire.
On peut même prendre l’exemple des big men les plus dominants en NBA. Ils shootent tous, et jouent tous au poste. Quand je te dis qu’ils shootent, c’est pas simplement shooter, ils le font mais ils jouent aussi au poste bas. Ils sont complets et ça pose énormément de problèmes à l’autre équipe.
Jokic, Embiid, Anthony Davis, Karl-Anthony Towns, ce sont tous des big men complets.
Rudy Gobert, il est dominant mais face à certaines équipes, il a du mal. Quand les matchs sont très difficiles, il a du mal parce qu’il ne peut dominer qu’en bas et pas en dehors.
Je pense à Giannis (Antetokounmpo) qui travaille son tir extérieur parce qu’il sait qu’il est dominant à l’intérieur mais pas assez à l’extérieur, du coup, en face ils vont faire des fautes et ça le calme. Il ne peut pas jouer son jeu comme il l’entend.
À un certain niveau, si tu n’as pas de shoot extérieur, et je ne parle pas forcément du tir à 3 points, je parle aussi d’un mid-range, ça change tout. Tu n’es pas toujours obligé de foncer dans le tas.

Ce que tu as pu apprendre en Espagne t’a t-il aidé à t’adapter plus rapidement au championnat Espoirs à ton arrivée ?
Oui, car quand je suis arrivé, j’étais un peu différent moi aussi. Mes coachs l’ont vu dès les premiers entraînements. Heureusement, ils m’ont laissé la liberté de shooter, et de jouer mon jeu. Cela m’a libéré et mis en confiance. Quand j’étais ouvert, mes coéquipiers me donnaient la balle, cela m’a fait du bien.
Cette année-là, je peux dire que je n’ai pas fini dans le meilleur 5 car j’étais à Boulazac. Si tu me mets dans une autre équipe, on me dit que je suis le meilleur big men. Sauf que l’on finit dernier du championnat, pourtant j’étais régulier vu mes statistiques. C’est aussi pour cela que l’Asvel m’avait abordé à la fin de saison.

« Être MVP, c’est acté, tout le monde en parle »

Quel était le discours que le club a tenu pour te motiver à les rejoindre ?
À la base, je voulais retourner en Espagne, plusieurs clubs me voulaient, mais Boulazac n’était pas très favorable à l’idée. Ils descendaient en Pro B, je ne voulais pas jouer en Espoirs Pro B, car c’était un championnat nouveau et je ne savais pas trop à quoi m’attendre.
Pour moi, c’était soit je pars à l’étranger, soit j’évolue au plus haut niveau en France dans un grand club où je pouvais avoir assez de visibilité. L’Asvel est venue, ils m’ont dit que si je viens je serais titulaire, j’aurais du temps de jeu et le reste ce sera à moi de le montrer.
C’est déjà l’occasion de rejoindre l’Asvel qui venait d’être champion, j’étais motivé à venir et reproduire la même chose. On est champion de France, c’était une très belle année, et c’était le bon choix.

Qu’est-ce qui t’attire en Espagne ?
C’est le jeu espagnol que j’aime surtout. Le basket là-bas est tellement fluide.
Ici, parfois tu peux jouer avec un coéquipier, tu peux demander telle chose, mais lui ne va pas forcément comprendre. En Espagne, juste avec un regard, le coéquipier va te comprendre tout de suite. Il va comprendre la passe que tu veux faire, dans quelle direction tu veux l’emmener. Je voulais retrouver ce basket où tout est plus facile.

Prends-tu autant de plaisir à jouer ici qu’en Espagne ?
Au début, je ne prenais pas autant de plaisir car tout était différent. On n’avait pas la même vision du jeu.
Depuis la saison passée, tout a changé. On avait un groupe complet, des étrangers, les joueurs sont plus malins. C’est beaucoup plus simple.
Cette année, notre effectif est plus réduit vu que certains joueurs sont partis, mais je prends toujours autant de plaisir car il y a quelques joueurs qui savent ce qu’ils font et qui savent jouer.

Cette saison, le ratio entre le nombre de rebonds pris par rapport au nombre de matchs joués fait de toi l’un des 3 meilleurs joueurs all-time sur cette catégorie dans le championnat Espoirs. Es-tu à la recherche de records ?
Bien sûr. Cette année, j’ai égalé le record all-time du nombre de rebonds pris en un match. En 2011, c’est Vincent Pourchot qui prend 26 rebonds.
Contre Paris, j’ai marqué 27 points, j’ai pris 26 rebonds avec 43 d’évaluation. Je l’ai aussi fait au match contre Nancy qu’on a perdu (22 points, 26 rebonds, 37 d’évaluation).
Cela m’a fait un peu mal, je me suis dit si j’avais pris un rebond de plus je battais le record. L’objectif est de battre ce record pour que mon nom soit gravé à jamais.
Le principal c’est le collectif. Notre objectif est de finir dans les quatre premiers. La saison n’est pas finie donc l’objectif n’est pas encore atteint. Comme ça, on est sûr d’avoir un tirage abordable au premier tour. Il suffit juste de gagner un match sur les trois prochains pour valider cet objectif.
Le second est individuel. En début d’année, mon but était d’être dans le 5 de l’année et d’être le pivot le plus dominant. Être MVP, c’est acté, tout le monde en parle. Je vais tout faire pour finir en beauté, même si ce n’était pas l’objectif.
Tout le monde me dit que si je ne suis pas MVP cette année, ce n’est pas normal. Ce que je fais individuellement, personne ne le fait dans le championnat. C’est venu tout seul, ce n’est jamais l’objectif premier d’un joueur.
En général, on joue et après on voit que les chiffres sont formels et donc on se dit il faut aller le chercher. De base, je voulais juste dominer le championnat Espoirs et que tout le monde dise que c’est moi le meilleur poste 5. Tout le reste c’est du bonus. Maintenant à 2 matchs du championnat, c’est un objectif.

Crédit photo : Enzo Braillon / Best-of Espoirs / Simon Richet / LDLC ASVEL

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