Interview Kevin Corre, le numéro 1 français du 3×3 (Partie 2)

- 30 juin 2021

Numéro 1 français en 3×3, Kevin Corre (2,03m, 36 ans) est classé 47e au monde. Sous contrat avec l’équipe saoudienne de Jeddah, il nous raconte son nouveau quotidien de joueur professionnel de 3×3. Voici la deuxième partie de notre entretien. La première partie est à retrouver ici.

N’est-ce pas parfois un peu compliqué de ne pas avoir de coach à vos côtés au bord du terrain ?

“Ne pas avoir de coach pendant les matchs, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Le travail est fait avant le tournoi, une fois que ça commence on est libres. Il faut s’imprégner de ce que veut le coach et de ce que l’on veut aussi produire comme jeu. Notre coach est bon là-dessus. Il a des exigences, mais il nous laisse quelques libertés. Je trouve ça super enrichissant parce qu’on doit connaître le sport, on doit connaître notre équipe, on doit connaître nos partenaires et savoir quand est-ce qu’on peut leur donner un coup de pouce ou justement les ramener dans le calme. Il faut savoir gérer ses émotions, les garder à l’intérieur et les ressortir autrement ou parfois les laisser sortir quand c’est nécessaire. Je joue notamment avec Nemanja Drascovic, un serbe qui a parfois besoin de laisser aller ses émotions. Quand il explose, je lui laisse complètement la place parce que je sais que ça fait partie de son tempérament. Le 3×3 c’est ça, le côté humain. Une fois que Nemanja a pété son câble, je reviens vers lui et je lui dis que j’ai compris ce qu’il m’a dit, on va l’appliquer et on va avancer comme ça. Ne pas avoir de coach pendant les matchs, ça nous responsabilise. C’est une histoire entre nous quatre. C’est quelque chose qui me parle tellement. En 5×5, on a toujours les mains liées par un coach, par un joueur étranger, par un joueur qui a fait telle ou telle chose, un club qui veut faire ci, qui veut faire ça. Le 3×3 c’est complètement libre et ça me plait beaucoup.”    

On pourrait croire que le 3×3 est plus simple comme on joue sur un demi-terrain ?

“Le 3×3 c’est pratiquement un sport différent parce que c’est beaucoup plus vif, c’est beaucoup plus intense, c’est beaucoup plus physique. Je pense qu’il y a pas mal de personnes en France qui ont perçu le 3×3 comme un sport d’été ou un sport qui est pour ceux qui n’arrivent pas à jouer en 5×5. Pas du tout ! C’est clairement un sport différent, il faut avoir d’autres qualités. On ne peut pas tellement être spécialiste. Il faut être capable de faire pas mal de choses. Il y a aussi un entraînement spécifique à faire pour le cardio parce qu’on n’arrête pas. À peine on a shooté, à peine on atterri après notre tir qu’il faut passer en défense. Il y a des phases de jeu qui durent parfois trois minutes sans qu’on s’arrête. J’invite n’importe quel joueur qui s’intéresse au 3×3 et qui pense que c’est plus facile que le 5×5 à venir faire un tournoi. Il y a des Open Plus qui se déroulent partout en France. Physiquement, on est en perpétuel combat, on est toujours en contact avec notre joueur. Il n’y a pas de moment où on peut souffler. Il faut être prêt physiquement pour le match mais également parce que les tournois se présentent d’une manière différente. On ne vient pas pour jouer 40 minutes avec un échauffement au début et où on se refroidit à la fin. Ici, on doit se réchauffer autant de fois qu’on va jouer de matchs. Le premier jour sur des bons tournois, on en jouera deux et si l’on veut aller au bout, il faudra en jouer trois le lendemain. Il faut donc s’échauffer, en tout, cinq fois en deux jours. Je ne connais pas un seul joueur qui a été en finale et qui peut dire qu’il était frais en finale. L’usure physique ça se travaille. En 5×5, on ne la travaille pas de la même façon. On la travaille même peu parce qu’on a des remplaçants. C’est un sport qui est différent, qui demande différentes qualités, différentes adaptations par rapport au 5×5. C’est un sport qui peut aider pour le 5×5 et vice versa.” 

D’un aspect tactique, il y a-t-il aussi des systèmes comme il peut y en avoir en 5×5?

“Plus on va dans un tournoi relevé, plus la tactique est importante parce qu’il faut trouver l’art et la manière de marquer des paniers en situation préférentielle. Il y a très peu de un contre zéro en 3×3. Il faut essayer de jouer les un contre un en se fatiguant le moins possible, en se battant le moins possible. Il y a des systèmes de jeu courts parce qu’il n’y a que douze secondes d’attaque. Il y a des équipes qui jouent avec des formes de jeu et qui trouvent beaucoup de solutions dessus. Il y a des équipes qui ont des joueurs qui ont de vraies lectures de jeu. Il y a des tactiques à connaître, sur la longueur d’un match, comment le match commence, comment il se termine, la gestion des fautes. Il y a une mise en place tactique avec des règles qui sont propres à chaque équipe et des basiques qu’il faut respecter. Il y a toujours des équipes qui nous réussissent plus que d’autres pour telle ou telle raison. C’est quelque chose qui est étudié. On a des séances vidéos avant chaque tournoi, avant chaque match. Il y a un aspect tactique très fort plus le niveau augmente. Dans les pays qui sont assez basiques sur le 3×3, c’est beaucoup de un contre un. Mais sur la longueur d’un tournoi, sur la longueur d’un match, sur la longueur d’une saison on use beaucoup de cartouches avec le un contre un. Donc plus la tactique est présente, plus on facilite les paniers.” 

Au cœur de cette période un peu particulière, avez-vous une idée du programme qui vous attend cet été, à quels tournois allez vous participer ? 

“La FIBA 3×3 est surtout concentrée sur les JO cet été donc il n’y a pas énormément de tournois qui sont prévus et confirmés. Je pense qu’une fois que les JO seront terminés et qu’ils auront concrétisé leur rêve ils pourront se concentrer un peu plus sur le circuit pro. Pour l’instant, c’est quand même assez flou parce que selon la situation des différents pays, les tournois sont possibles maintenant et ne le seront pas dans deux mois et inversement. C’est à voir au cas par cas et la FIBA 3×3 fait très bien son travail là-dessus. Autrement, je suis le parrain du tournoi 3×3 Frescaty Tour qui se déroule à Metz les 3 et 4 juillet prochain, et auquel je vais également participer avec mon équipe.”

Où avez-vous pu voyager grâce au 3×3 ?

“Je crois que j’ai visité en tout une trentaine de pays, mais la découverte de l’Arabie Saoudite c’est une des expériences les plus fortes parce que c’est une culture et un monde différents. J’ai aussi pu réaliser un de mes rêves de voyager aux Etats-Unis grâce au basket. On avait gagné ce Challenger en Chine qui nous qualifiait pour le World Tour de Los Angeles. On a aussi pu faire un petit camp d’entraînement à Los Angeles avant la compétition. On a passé douze jours là-bas. C’était un super moment. J’ai pu faire le Canada, la Chine, le Japon, les Pays-Bas. Il y a beaucoup de belles choses à Amsterdam au-delà du cannabis et du Quartier Rouge. En Europe j’ai fait beaucoup de pays, l’Autriche, la Slovénie, la Roumanie, la Belgique. Cette année, j’ai aussi surtout eu l’occasion d’aller visiter l’Afrique grâce à l’organisation française Dreals qui s’occupe d’amener des joueurs, des arbitres, des officiels pour former des locaux pendant la semaine. J’étais chargé d’animer des camps d’entraînement pour les seniors. À la fin de la semaine, tout était mis en œuvre dans le cadre d’un tournoi 3×3. J’ai donc pu aller en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. C’était une expérience incroyable pour ma première fois en Afrique Noire. C’était génial de découvrir cette culture. Je suis aussi allé au Qatar.”

Parmi les endroits dans lesquels vous avez été, lequel avez-vous préféré ? 

“Ce qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est Venice Beach. On a été s’entraîner plusieurs fois sur ce terrain mythique et connu dans le monde entier. C’est un endroit magnifique où l’on joue près de la plage. Dès que le match est terminé, on court dans l’eau. C’est un endroit où les gens se baladent, où il y a beaucoup de passage. Il y a beaucoup de SDF aussi, mais il y a beaucoup de passage et pas mal de terrains dont un central qui est joliment décoré.”

Quel a été votre ressenti quant à l’engouement autour du 3×3 à l’étranger par rapport à la France ?

“C’est pour moi une source de frustration de voir comment le 3×3 évolue en France alors que l’Arabie Saoudite, qui s’est penchée sur cette discipline il y a seulement deux ans, est déjà capable, grâce à sa puissance financière, d’organiser deux World Tour et créer une ligue de 3×3. Je suis conscient que la puissance financière aide beaucoup, mais j’aimerais beaucoup que ça puisse évoluer en France et qu’il puisse y avoir quelque chose de concret. Le 3×3 en Arabie Saoudite on le croise surtout quand on va au restaurant parce qu’il y a beaucoup de Philippins qui travaillent ici. Aux Philippines, le 3×3 a un engouement incroyable donc ils nous reconnaissent souvent quand on va au restaurant et nous demandent des photos (sourire). J’essaye au maximum de réinvestir en France ce que je vois à l’étranger pour faire grandir le 3×3 à mon échelle.” 

Quel a été le parcours de votre équipe depuis vos débuts ? 

“Quand on a commencé, la problématique que mon coach a eu c’est qu’il fallait qu’il trouve des joueurs qui ne sont pas déjà pris par une équipe pour qu’on ne soit pas bloqué. Il a assemblé des pièces de différents pays. Il y a un Serbe, un Polonais, un Saoudien et moi-même. On ne se connaissait pas, on partait de loin et personne n’aurait pu prévoir que ça se passerait aussi bien puisqu’après la première saison on a été douzième meilleure équipe mondiale et on s’est qualifié sur le dernier tournoi de la saison pour les finales à Utsunomiya (Japon). En partant de zéro, c’est une super fierté. On a gagné un challenger en Chine donc on a rapporté la première médaille de l’histoire du 3×3 en Arabie Saoudite. Je suis aussi le seul joueur français à avoir gagné un Challenger. On a fait du bon travail sur cette première saison sachant qu’il n’y avait aucune garantie que ça fonctionne. On a aussi eu pas mal de difficultés pour trouver un joueur saoudien qui puisse coller au mode d’entraînement et au 3×3. On a finalement récupéré le meilleur joueur de l’équipe nationale de 5×5, Khalid Abdel-Gabar. Il s’est super bien adapté, c’est un joueur intelligent qui a aussi été formé au Canada donc qui a une culture et une approche différente. La seconde année, Khalid, qui joue également en 5×5 en Arabie Saoudite, allait moins être disponible donc on a appelé un autre joueur serbe :  Nebojsa Kilijan. On l’appelle “Paki”. De la douzième place, nous sommes passés à la sixième place mondiale. On s’est donc qualifiés pour les finales mondiales qui ont eu lieu à Jeddah. Sur ce tournoi, on a perdu en quart de finale contre Liman, qui a été jusqu’en finale. En poule, on avait poussé Riga en prolongation. Riga qui est allée chercher le titre sur ce tournoi. Je ne suis pas peu fier de ce classement parce que j’ai passé pas mal d’années en France à essayer d’avoir des résultats et ce n’était pas chose aisée.”

Crédit photo : FIBA

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