Coachs français, pourquoi ils se font doubler par les étrangers ?

- 21 novembre 2023

Sur dix huit équipes de Betclic Elite, six sont cette saison dirigées par des entraîneurs étrangers, soit 33%. Locomotives du championnat, Monaco, Paris et l’ASVEL font partie de ces clubs menés par des coachs étrangers.

Dans un championnat évoluant tous les ans et vu aujourd’hui parmi les meilleurs d’Europe, nous nous sommes posés la question de savoir pourquoi les coachs français cèdent de plus en plus régulièrement leur place à des entraîneurs étrangers. Monaco, l’ASVEL, Paris, Strasbourg, Limoges et Dijon sont les clubs qui ont misé sur des techniciens étrangers, si l’on met à part l’Elan Chalon dont l’entraîneur Savo Vucevic est en France depuis le début des années 90, a la double nationalité et est parfaitement bilingue. Si le Paris Basketball avait misé sur l’Américain Will Weaver la saison dernière, il s’est tourné à l’intersaison vers le Finlandais Tuomas Iisalo, rejoignant ainsi ses homologues de Betclic Elite en engageant un coach européen.

Qu’est-ce qui différencie vraiment les entraîneurs étrangers aux entraîneurs français ?

Meilleur niveau ou effet de mode ?

Si l’on prend l’exemple de Monaco, Paris et l’ASVEL, les objectifs sont clairs. Performer sur la scène nationale, mais également sur la scène européenne. Les ambitions monégasques sont clairement de remporter l’Euroleague quand l’ASVEL vise le Top 8 et que Paris est favori pour remporter l’Eurocup avant d’intégrer l’Euroelague. Pour atteindre ces objectifs, les dirigeants se sont tournés vers des entraîneurs expérimentés. À Monaco, Sasa Obradovic a été un grand joueur médaillé de multiples fois sous le maillot de la Yougoslavie avant de devenir entraîneur et de remporter plusieurs titres en Allemagne, en Ukraine, en Russie jusqu’à être élu entraîneur de l’année en Eurocup (2017/18). Du côté de Villeurbanne, Gianmarco Pozzecco a un palmarès encore vierge mais a fait ses preuves notamment grâce à son tempérament et à la façon dont il vit les matchs, et il est depuis plus d’un an le sélectionneur de l’Italie après être passé par des institutions comme le Fortitudo Bologne et l’Olimpia Milano. Enfin, le Paris Basketball a opté pour un entraîneur qui monte, Tuomas Iisalo. Encore inconnu il y a deux ans, il a offert la montée en Bundesliga à Crailsheim avant de rejoindre Bonn où il a été élu deux années de suite (2021 et 2022) entraîneur de l’année en Allemagne avant d’offrir à son club la Champions League, dont il a également été élu coach de l’année.

Derrière ce trio de tête, on retrouve Nenad Markovic à Dijon, Ilias Kantzouris à Limoges et Massimo Cancellieri à Strasbourg.

Directeur Sportif de Dijon, Fabien Romeyer nous a donné la vision de la JDA au moment du recrutement de Nenad Markovic en 2021 pour prendre la succession de Laurent Legname.

« On avait établi un profil de coach que l’on voulait avec quatre critères importants. Ensuite, on a sondé et on a checké les coachs qui pouvaient rentrer dans ces critères-là. On avait fait une short list de quatre noms, deux français et deux étrangers, certains sous contrat et d’autres non. On a rencontré les entraîneurs que l’on voulait et c’est Nenad Markovic qui est arrivé devant. C’est plus sur un profil particulier que l’on a fait notre choix et pas du tout sur un effet de mode. Si le profil que l’on souhaitait était disponible chez un entraîneur français on l’aurait pris. Il y avait des critères comme avoir joué une coupe d’Europe, un vécu important, qui faisait défendre ses équipes et un certain niveau d’exigence… L’arrivée de Nenad Markovic résulte d’un besoin. Peu importe la nationalité. On a un besoin par rapport à des compétences particulières. En tout cas, c’est quelqu’un qui répond à nos besoins et aux compétences que l’on veut par rapport à des critères particuliers. »

En plus d’avoir un vécu aux quatre coins de l’Europe, l’entraîneur bosnien possède le point de vue tactique des pays de l’Est. Une vision qui est aujourd’hui un peu oubliée par les entraîneurs français d’après le dirigeant dijonnais.

« On perd ce côté tactique en France car le championnat est très physique, peut-être le plus physique d’Europe. Et je trouve que l’on vante un peu ce championnat très physique, qui vient aussi des caractéristiques de nos joueurs. C’est d’abord ça. Ce qui est positif c’est qu’on peut imposer un vrai impact défensif parce qu’on a des joueurs athlétiques, mais il faut aussi développer les qualités basket, de lecture, techniques, tactiques, stratégiques que l’on a peut-être moins et qu’une culture étrangère est peut-être plus sensible à ça tout simplement parce que dans leur pays ils n’ont pas ces qualités athlétiques-là. C’est intéressant dans la façon de voir le basket parce qu’on peut parfois, en France, être sur des critères particulier en s’adaptant au fait que la ligue est ultra physique. On a peut-être plus tendance à développer et à mettre en avant les qualités athlétiques plutôt que le basket pur. Peut-être que les coachs étrangers nous apportent cette capacité-là à voir un basket différent. »

Manque d’ambition ?

Fidèle assistant de Pascal Donnadieu à Nanterre entre 2006 et 2021, Franck Le Goff a étudié la question et nous a donné quelques pistes concernant cette montée en puissance des entraîneurs étrangers au détriment des coachs français. « Je ne détiens pas la vérité, ce ne sont que des pistes », previent-il, mais selon lui plusieurs choses font que l’entraîneur français se fait dépasser par ses homologues étrangers.

« Pour moi, il y a plusiers hypothèses. Soit, le coach français a trop de savoir et n’a pas besoin d’aller voir ailleurs, de prendre des informations et il reste chez lui bien au chaud. Il écume les clubs français de droite et de gauche, de différentes divisions et ça lui convient. Soit le coach français n’est pas un gros bosseur, il reste sur ses acquis et ça lui suffit. Quand je vois l’interview de Lassi Tuovi, ça m’interpelle. On lui a dit “les coachs finlandais sont à la mode en ce moment”. Je crois que la problématique est qu’on n’a pas d’école de coaching en France. C’est-à-dire que, Lassi Tuovi dit que Henrik Dettman, coach finlandais emblématique, a construit un système d’apprentissage de coach en Finlande. Typiquement, je pense qu’avec l’esprit français que l’on a. On pense qu’on est super bon. Comme on est, derrière le Canada, la nation la plus représentée en NBA, qu’on a plein de joueurs en Euroleague, on pense qu’on a rien à apprendre des autres et qu’on forme très bien les joueurs. Sauf que de toute façon on va continuer à en envoyer des joueurs, on a la chance d’avoir un réservoir et une mixité incroyables. Je pense qu’il y a un manque de formation des entraîneurs. On ne se réunit pas assez entre coachs, on ne réfléchit pas assez ensemble sur certaines choses parce qu’on pense tout connaître. Je pense qu’on est suffisant. Il y a quelques entraîneurs qui vont un peu chercher à se perfectionner. Mais c’est surtout quand ils se font couper. C’est à ce moment-là qu’ils se disent qu’ils vont aller voir ce qui se passe en NBA, un peu partout. Quand on est en poste, on est très préoccupé par notre propre équipe, on est très préoccupé par le fait de garder notre poste car maintenant on est viré comme ça, les contrats sont de plus en plus courts. Je pense qu’on est pas assez ouverts sur ce qui se fait à droite, à gauche. Ça n’inquiète personne que les coachs finlandais prennent des places aux coachs français ? Je n’ai rien contre les Finlandais mais comparons les deux baskets, c’est le jour et la nuit. Quand ils arrivent en France ils deviennent fous. »

D’après l’actuel entraîneur de Levallois, en NM2, cette suffisance du coach français se retranscrit également dans son ambition. Une ambition très peu élevée qui se cantonne à faire le tour des clubs français.

« Je sais que, pour avoir été un peu à l’étranger, avoir discuté un peu avec des coachs, autant on nous envie nos gamins et notre formation sur les pépites qu’on a, autant j’ai déjà des GM d’équipes d’Euroleague qui me disent que les coachs français ça ne bosse pas beaucoup. C’est pour ça que tu ne vois pas beaucoup de coachs français à l’étranger. Le dernier, c’était Cédric Heitz, en Pologne. Pierre Vincent sur les filles parce que c’est un spécialiste. Il a un palmarès. Mais chez les garçons, à part Vincent Collet qui peut aller où il veut, dans les autres je serais incapable dire qui pourrait s’exporter. […] J’ai l’impression que les mecs, à partir du moment où ils atteignent la Betclic Elite, ils se disent que c’est bon. Je trouve que le coach français manque d’ambition. Mais que fait-il pour avoir de l’ambition et être reconnu à l’étranger ? De plus que ce qu’il fait dans son club, chaque jour. Qu’est-ce qu’on fait pour se faire remarquer et qu’un dirigeant étranger se dise qu’il va miser sur un coach français. Rien. Certains font des Summer League, mais tout le monde peut le faire, et t’es assistant, t’es là pour prendre des infos. C’est surtout pour scouter les joueurs, tu ne vas rien apprendre au niveau basket. Mais après, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on se réunit, est-ce qu’on parle de basket, est-ce qu’un Vincent Collet ne pourrait pas donner des pistes à certains entraîneurs parce que c’est celui qui est le plus expérimenté de tous ? En France, il ne se passe rien au niveau du coaching. C’est chacun pour soi. Forcément, la corporation, y a pas un coach qui part, pas un seul. Et il n’y a pas un club qui veut d’un coach français. Les coachs turcs, ils signent partout, les grecs et les italiens pareil, les serbes n’en parlons pas. »

La solution, aller piocher en Pro B ?

Manque d’ambition, manque de travail, suffisance… Et si la solution pour redynamiser le coaching français était de véritablement mettre les entraîneur implantés en Betclic Elite en difficulté en allant chercher des techniciens qui n’attendent que d’avoir leur chance au plus haut niveau français. C’est en tout cas l’une des pistes mentionnées par Franck Le Goff. Seulement, ce pari d’aller miser sur un entraîneur d’une division inférieure, les dirigeants ne le tenteront pas d’après lui. Une frilosité qui a le dont d’agacer l’ancien assistant nanterrien.

« Je trouve que c’est aussi de la faute des dirigeants, qui sont très frileux. Ils préfèrent, peut-être pour rassurer leurs sponsors, prendre des noms alors que certains étaient bons y a dix ans et aujourd’hui sont peut-être un peu moins à la page. Alors qu’en Pro B, il y a des mecs qui travaillent comme des chiens, je pense à Guillaume Vizade, Germain Castano, Alexandre Menard. Il y a plein de très bons coachs en Pro B. Je suis sûr que ce sont des gros bosseurs, qui ont encore tout à prouver et qui feraient un boulot incroyable. Pourtant, à côté de ça on va chercher des coachs étrangers, je trouve ça un peu dommage. Attention, Iisalo a été champion de BCL, il doit être exceptionnel, mais avant d’arriver à Bonn il était inconnu. Autant on a un réservoir de joueurs incroyable, autant on a un réservoir de coachs qui je pense est très bon, mais on a une espèce de frilosité de la part de certains dirigeants. Je pense que c’est par rapport aux sponsors, aux mairies. Ils préfèrent prendre un mec qui a fait 15 ans en Pro A, mais peut-être que ce mec il est dépassé aujourd’hui. Peut-être qu’il n’a pas évolué alors que le basket, lui, a évolué. Peut-être que son basket n’est plus à la page. Et à la fin, s’il y a échec on va se dire “je ne comprends pas, le mec a été meilleur entraîneur y a 10 ans”. Sauf que le basket il avance. On a un vrai réservoir en Pro B qu’on exploite pas et c’est malheureux. On le voit aujourd’hui avec Julien Mahé. On attend que le mec monte avec son équipe pour lui donner sa chance en Betclic Elite, mais non ! Je trouve que c’est dommage d’aller chercher un coach finlandais alors que t’as des coachs très bons en Pro B. Vichy, Rouen, Orléans… Il y a déjà trois très bons coachs, des mecs qui ont été assistants en Pro A. Maxime Bezin, à Lille, je serais un club, je jetterais un petit coup d’oeil sur lui, je le surveillerais. Il y en a au moins quatre ou cinq à surveiller, mais ça n’arrivera jamais parce il n’y a pas un président qui prendra le pari de prendre un coach performant en Pro B. Mickael Hay, il a fallu attendre qu’il monte avec Blois pour qu’on se rende compte que c’était un bon entraîneur. Il a fait quatre ans en Pro B. Ils sont la les futurs, parce que ce sont des jeunes entraîneurs et qu’il sont sur le terrain. Ils mettent les mains dans le cambouis, c’est compliqué de monter de Pro B en Pro A. Ça serait une bonne piste de scouter les entraîneurs comme on scout les joueurs, scruter leur recrutement, voir la logique qu’il y a et observer tout ça. Et en plus ça coûterait moins cher aux clubs. »

Un point de vue partagé par Fabien Romeyer qui voit beaucoup de bons coachs dans la nouvelle génération.

« J’entends les critiques. Je sais qu’il y a une étude qui a été faite sur le fait que les coachs ne travaillent pas assez, ne sont pas assez stratégiques en France. Il faut l’entendre parce que si ça se dit c’est qu’il y a aussi une part de vérité. Mais ce que je trouve intéressant, c’est qu’il y a une nouvelle génération de coachs français qui arrive et qui, je pense, peut insuffler quelque chose de moderne, de novateur et qui peut être vraiment sympa. »

Au-delà d’un manque de niveau, le charisme et la façon dont un entraîneur à la capacité de tenir son équipe, notamment face à des joueurs stars, sont souvent mis en avant.

« Il faut arrêter avec “les coachs ont besoin de charisme parce que les joueurs ne vont pas écouter”. Sauf qu’on prend tellement de joueurs étrangers que de toute façon ils ne connaissent même pas le coach. Ils viennent parce qu’il y a un bon contrat, il faut qu’ils fassent des bonnes stats. Ce n’est pas un argument de regarder le palmarès. Si le club est bien, si l’équipe est bien équilibrée et si l’entraîneur n’est pas trop « con » et cohérent dans ce qu’il met en place, le joueur il avancera » », scande Franck Le Goff.

Et cette façon de savoir tenir son équipe, c’est notamment l’un des points qui a joué en faveur de Nenad Markovic à Dijon.

« Sa posture n’est pas la même qu’un coach français. Avec des avantages et des inconvénients. Ce qui est intéressant, c’est que tous les joueurs sont au même niveau, ça c’est une vraie qualité. Tous les joueurs sont traités de la même façon. Il y a une hiérarchie, mais sur l’investissement, que l’on s’appelle David Holston ou Mathys Kangudia, Nathan Vincennes ou Gregor Hrovat, tout le monde est logé à la même enseigne. Il y a d’autres choses qui peuvent être plus difficiles. C’est une façon de voir le basket particulière », précise Fabien Romeyer.

En conclusion, on se rend bien compte que les clubs les plus ambitieux du championnat ont décidé de s’armer avec des entraîneurs étrangers. Palmarès, vécu, caractère, meneur d’hommes, sont les qualités que l’on retrouve chez les coachs à la tête des meilleures équipes du championnat. Mais, il faut désormais être capable de se remettre en question et d’aller chercher tout le potentiel de nos entraîneurs français pour montrer que le vivier de coachs tricolores est aussi riche que celui des joueurs.

« Je ne dis pas que tous les entraîneurs français ne sont pas des bosseurs, mais je pense qu’on manque d’ambition et quand on arrive à avoir la chance de coacher à ce niveau-là, il faut se retrousser encore plus les manches, être ambitieux et être un gros bosseur. Innover, faire du scouting. L’objectif ne devrait pas être de rester en Betclic Elite toute sa vie. Il faut essayer de coacher à l’étranger, avoir une sélection nationale. Il faut se faire un plan de carrière comme un joueur. Inquiétons-nous ou inspirons des coach finlandais parce que sinon dans trois, quatre ans il ne restera plus de coach français dans la ligue », conclut Franck Le Goff.

Crédits photos : Guilherme Amorin/Champions League/Tuan Nguyen/F.Blaise

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