Joueur d’expérience, le dijonnais Jonathan Rousselle est installé depuis de longues années dans l’Elite. Passé par Bilbao, en Liga, le temps de trois saisons, il retrace son parcours et son expérience, tout en comparant le jeu dans les deux pays.
Tu as joué chez deux monuments du basket français (Cholet, Limoges), dans un championnat européen réputé (Espagne), qu’as-tu appris au cours de ces années ?
Beaucoup de choses forcément, difficile de retenir une seule leçon. Cela t’enrichit, après avoir vécu plusieurs expériences différentes. Que ce soit avec les coéquipiers et entraîneurs que j’ai pu avoir à Cholet, Limoges ou même en Espagne, ce sont deux manières bien différentes de jouer au basket, deux cultures différentes, avec énormément de choses à apprendre pour ton bagage personnel.
Chaque situation, qu’elle soit bonne ou mauvaise, te sert pour la suite. Cela m’a forgé pour devenir le joueur que je suis aujourd’hui.
Lorsque l’on évoque le sport espagnol, on entend souvent qu’ils formatent les athlètes de façon à ce qu’ils aient l’esprit de compétition 24h/24. On te connaît comme un joueur avec cette même mentalité, la France a-t-elle un retard dans l’esprit de la gagne ?
Tout dépend de ton point de vue. Il y a une différence, c’est clair. Ils sont très ancrés dans le projet collectif, dans cette culture de la gagne et de la grinta. Les deux systèmes ont leurs différences. Je me suis vraiment retrouvé dans cet esprit collectif, tourné vers l’autre. Cela m’a plu et m’a rendu épanoui.
Maintenant, qu’est-ce qui est mieux ? Cela dépend, chacun est plus adapté à une culture ou une autre.
Babacar Mbye, qui a évolué dans une académie espagnole, affirmait que le jeu en Espagne était plus facile. As-tu le même ressenti ?
Clairement, le basket pratiqué est plus ouvert et rythmé. Tout est tellement différent, tu peux avoir n’importe quel profil, si tu es grand, ils ne vont pas te dire de rester sous le panier. Ils ont une culture des fondamentaux pour chaque joueur. Peu importe le profil, ils vont en faire un joueur de basket avec de très bons fondamentaux et une capacité à s’intégrer pleinement dans un collectif, plutôt que de développer le joueur sur de l’entraînement individuel et des skills, que l’on fait beaucoup plus en France.
C’est une approche et une culture différente. Nous sommes plus « américanisés » dans la culture et la vision du jeu. En Espagne, c’est un sport collectif avec cinq joueurs qui travaillent ensemble. Ils ont une méthodologie bien définie, et on le voit avec l’équipe nationale. Il y a un fond de jeu et un style qui ne ressemble pas à ce que l’on voit ici.
Chaque joueur est plus sensible ou pas à cela, mais c’est bien plus adapté pour le joueur que je suis, et pour la vision que j’ai du basket.
« Nous sommes l’un des sports collectifs les plus individualistes »
Avec Paul Lacombe, Maxime Courby et Nicolas Lang, tu es l’un des seuls joueurs de la génération 90, championne d’Europe U20 en 2010, à encore évoluer au plus haut niveau du basket français. Quel est le secret de cette longévité et d’une longue carrière professionnelle ?
Chacun son chemin et son histoire. Ce qui peut ressortir de nous quatre, c’est que nous sommes des joueurs faciles à coacher, à l’écoute, et qui s’intéressent au projet de leur club. Toutes ces qualités sont très recherchées. Elles sont indispensables pour durer, malgré tout ce que l’on peut voir. Le basket reste un sport d’équipe. Tu as besoin de joueurs qui sont indispensables pour le bien de l’équipe et du club. Ces qualités sont toutes présentes chez des joueurs évoluant au plus haut niveau. Il y a des opportunités et un peu de chance aussi. Il faut les saisir, mais aussi se trouver au bon endroit au bon moment, et se révéler.
Nico, Paul, Max et moi, avons réussi à prouver notre valeur et à perdurer dans le temps grâce à notre éthique de travail. Il y a une envie de progresser, de gagner et d’être à l’écoute. Tout cela te donne les ingrédients pour durer. Nous avons également été épargnés par les blessures. Il y a un certain sérieux dans l’approche, qui nous permet de durer malgré les jeunes qui poussent. Il faut dire que tout cela ne nous rajeunit pas.
Finalement, tout cela est simplement le fruit d’un travail acharné ?
Peut-être que ça fait très ancien de dire cela, mais on a appris aux côtés d’une certaine génération dans nos jeunes années professionnelles, et qui n’est plus là aujourd’hui. Que ce soit pour Nico (Lang) à Chalon, Paul (Lacombe) ou encore Max (Courby) et moi à Gravelines, on était au contact de joueurs marquants, et qui avaient une certaine capacité de travail. L’esprit d’équipe était bien développé à l’époque, et on a réussit à garder ces valeurs que l’on nous a inculquées. Je pense que l’on a été dans les bonnes écoles, que ce soit dans nos centres de formation ou dans les premières équipes pro que l’on a côtoyé.
Pour ma part, j’ai également bénéficié de certaines rencontres en tant que coéquipier comme Cyril Akpomedah, Yannick Bokolo ou encore Jeff Greer. J’ai cité des joueurs, mais il y a aussi des coachs. Tu te nourris de tout cela, et ça te formate un petit peu pour l’avenir. Il y a une question aussi de chance et d’opportunité afin de te nourrir de ces personnes, et de te former avec cela puis de l’emporter pour le reste de ta carrière.
Ces qualités se sont perdues avec le temps ?
Non, je ne pense pas que ce soit perdu, mais, le monde évolue et le basket aussi.
Aujourd’hui, on est tous un peu plus attiré par la performance individuelle que par le résultat collectif. C’est le reflet d’une évolution de la société, centrée sur les statistiques et l’individualisme, à tort ou à raison.
C’est un constat, nous sommes l’un des sports collectifs les plus individualistes. Tout le monde regarde combien de points on a marqué, combien de rebonds on a pris.
Il y a des joueurs pour qui le résultat de l’équipe est secondaire. À partir du moment où leur match est bon, tout va bien. La valeur de l’esprit d’équipe se perd un peu, mais c’est le reflet de la société qui tend à plus se regarder soi-même, plutôt qu’à aider l’autre.
Au-delà de ton statut de joueur, as-tu des responsabilités de grand frère et d’accompagnateur auprès des jeunes dans l’équipe première ?
Que tu le veuilles ou non, tu seras regardé par les plus jeunes, rien que dans ta manière d’être et de fonctionner.
Ton éthique de travail sera surveillée. Ils peuvent aussi s’en inspirer, donc on a tous un rôle à jouer.
Notre comportement et notre façon d’agir à l’entraînement vont aussi inspirer. J’étais également dans cette situation quand j’avais l’âge de certains Espoirs de l’équipe. On donne aussi quelques conseils sur des situations dans lesquelles ils sont amenés lorsqu’ils entrent sur le terrain.
Tout ceci fait partie de notre rôle, et on le fait volontiers. Nous sommes dans l’encouragement et le guide, si je prends l’exemple de Mathys (Kangudia) ou Nathan (Vincennes), ils ont faim.
S’ils sont demandeurs, qu’ils veulent être à l’écoute, nous seront les premiers à demander des conseils et à être bienveillants. Le but, ce n’est pas de rester ici jusqu’à 45 ans, mais de préparer l’avenir et donner ce que l’on a pu voir et vivre.
Le but est aussi de faciliter le passage de flambeau avec la future génération ?
Je ne sais pas ce qu’il adviendra. Je ne sais pas si Mathys restera ou pas ou s’il va continuer, j’en sais rien. Mais quoi qu’il aille ou qu’il fasse, si j’ai pu l’aider, même à un faible pourcentage de sa carrière, lui apporter, qu’il se serve de ce qu’on lui a dit ou qu’on lui a montré, c’est déjà une réussite.
C’est une chose qui peut aussi être amenée à se perdre petit à petit. Il est donc c’est important de garder cette continuité, et cette transmission. C’est de cette manière que les valeurs restent.
Crédit photo : FIBA / Malena Haynau