Itw Kevin Anstett, Directeur Sportif du CSP et ancien scout NBA

- 11 juillet 2022

Nouveau Directeur Sportif du CSP Limoges, Kevin Anstett vit sa première expérience de dirigeant dans une institution du basket français. Entretien.

Ancien directeur du scouting international des Philadelphie Sixers le temps de trois saisons, Kevin Anstett nous dévoile les coulisses de son arrivée au CSP, ses débuts aux côtés de Massimo Cancellieri ou encore l’avancement du recrutement limougeaud.

Pour ceux qui te découvrent, peux-tu te présenter toi et ton parcours jusqu’à ton arrivée à Limoges ?

J’ai commencé le basket à 14/15 ans dans des petits clubs en région parisienne. À 19 ans, j’ai eu l’opportunité de choisir entre Limoges et Aix-Maurienne en Pro B. À l’époque, le coach de Limoges n’était pas encore connu. Fred Sarre a signé très tard donc comme je ne savais pas qui allait être le coach, j’ai préféré ne pas signer. Je risquais de me retrouver avec un entraîneur qui ne voulait pas m’avoir dans son effectif et j’ai signé à Aix-Maurienne. Je suis resté un an là-bas puis je suis ensuite revenu en région parisienne où j’ai joué en Nationale 2, Nationale 3. J’avais un travail de manager dans un grand groupe français jusqu’à ce que je me rende compte que le basket c’est toute ma vie. Je regardais énormément de matchs et j’ai eu envie d’évoluer dans ce milieu. C’est ma femme qui m’a poussé à me lancer dans le scouting, un métier très peu développé dans le basket français, et dont j’avais du mal à visualiser les débouchés.
Finalement, je me suis lancé et je suis allé voir énormément de matchs de jeunes en région parisienne. Pour faire court, un jour j’ai eu l’opportunité d’aller à la Summer League de Las Vegas où j’ai rencontré énormément de monde de la NBA qui étaient intéressés par le fait que je sois un français qui parle anglais et par le réseau que j’avais dans le basket français, car à cette époque-là, il y avait de plus en plus de potentiels français qui arrivaient sur le marché. Quand je commence dans le scouting, c’est la génération 98 qui entrait à la Draft : Frank Ntilikina, Jonathan Jeanne, etc. J’ai réussi à avoir un poste de scout à Phoenix où j’ai fait deux saisons. À la fin de ma deuxième saison, je me suis fait débaucher par Philadelphie où j’ai fait trois ans en tant que directeur du scouting international. Je faisais énormément de basket universitaire, de NBA et de G-League. C’est à la fin de cette troisième année que j’ai eu l’opportunité avec le CSP et que j’ai fait la bascule sur ce poste de Directeur Sportif que j’occupe désormais.

Comment s’est fait le rapprochement entre toi et Limoges ?

Je connaissais un peu Céline Forte. Elle habite du côté de Caen et elle était de passage sur Paris. Elle m’a contacté afin qu’on se rencontre pour discuter. Au départ, là première fois qu’on s’est vu, ce n’était pas dans le but de parler de notre futur commun. On a parlé de basket, de stratégie, etc. C’est quelques semaines plus tard qu’elle m’a rappelé pour me reparler du projet de Limoges, de ce qu’elle avait envie de faire et c’est finalement parti de là.

Si ca n’avait pas été un club avec une histoire forte comme Limoges, je pense que je n’y serais pas allé.

Comment s’est faite la passation avec Crawford Palmer et comment s’est construite ton arrivée à Limoges ?

Tout s’est plutôt bien passé car Crawford et moi on se connaissait déjà. C’est une personne sympathique qui n’a pas du tout un mauvais fond donc la transition a été assez facile. On s’était bien mis d’accord tous les deux sur le fait qu’à part s’il le voulait ou s’il en ressentait le besoin, je n’interviendrai pas du tout sur ce qui se passait sur la saison en cours (2021/22). Par contre, tout ce qui touchait à la saison prochaine (2022/23), on en discutait ensemble comme par exemple, les joueurs à prolonger. De mon côté, je commençais à préparer mon travail sur l’équipe de la saison prochaine. Étant sur Paris et lui sur Limoges à ce moment-là, ce n’était pas comme si on se voyait tous les jours au bureau, la situation n’a pas été bizarre.

Est-ce que devenir dirigeant d’un club était une voie qui t’intéressait avant de recevoir un appel de Céline Forte ?

C’est quelque chose à laquelle je pensais en termes d’évolution, mais ce n’est pas quelque chose que je recherchais dans l’immédiat. Je ne me suis jamais dis je veux tel poste à tel endroit. C’est quelque chose qui me trottait dans la tête mais sans plus.

Tu arrives dans une institution du basket français, n’est-ce pas un peu de pression d’arriver dans un tel club ? Surtout pour une première expérience à ce poste.

Bizarrement non. D’ailleurs, si ca n’avait pas été un club avec une histoire forte où la ville n’est pas passionnée par le club je pense que concrètement je n’y serais pas allé. Le challenge et la « pression » c’est aussi ce qui a fait que j’ai accepté le poste.

Pendant la saison, as-tu assisté à quelques matchs où fais-tu tes premiers pas à Beaublanc?

Je regardais tous les matchs en vidéo, mais je ne suis pas allé voir de match sur place. Je ne l’ai pas fait par respect pour Crawford. Il était toujours en place en train de gérer l’équipe, cela aurait pu rendre les choses compliquées. Je suis quand même allé à Limoges, j’ai assisté à des entraînements.

Prolonger Nicolas Lang, un des meilleurs JFLs du championnat, était une priorité dès le départ.

En quoi consiste ton travail, quelles sont tes missions ?

Évidemment en premier lieu il y a la construction de l’équipe, du staff et de tout ce qui est en lien avec le centre de formation. Il y a ensuite tout le management au quotidien de la cellule sportive qui concerne différents aspects allant de la gestion du team manager à la kiné ou encore la cellule médicale. Ça comprend aussi certaines missions administratives et juridiques. En ce moment par exemple je m’occupe de l’état de sortie des appartements des joueurs et des voitures. Sur l’aspect juridique, comme Alain Cloux n’est arrivé que le 1er juillet, j’ai dû apprendre énormément sur la signature des contrats des joueurs ou encore sur les taxes pour les joueurs qui arrivent en France. Finalement, c’est assez vaste et ça englobe beaucoup de choses.

Après quelques semaines, est-ce que c’est quelque chose qui te plait ?

Oui forcément car il y a l’excitation du début et c’est nouveau. Il y a évidemment l’adrénaline du début et la découverte de nouvelles choses.

Tu arrives sur le poste de Directeur Sportif, as-tu une équipe autour de toi ?

Il y a Paul Fournel qui est le team manager qui m’assiste énormément sur tout ce qui est lié à l’organisation de l’équipe, comme la pré-saison, les états de sortie, trouver des nouveaux appartements si on veut renouveler notre parc immobilier, gérer les intendants. Sur l’administratif il y a Alain Cloux, qui est le Directeur Général, mais aussi Fawzi Larbi le RH. C’est un travail d’équipe, je ne pense pas qu’on puisse faire un one man show dans un club. Ce n’est pas possible.

Avec ton nouveau poste, tu dois mettre ton activité de scout entre parenthèses? Est-ce que c’est quelque chose vers lequel tu souhaiterais revenir plus tard?

J’ai arrêté complètement avec Philadelphie le 1er mars, dès que j’ai commencé avec Limoges. Évidemment j’ai prévenu Philadelphie en amont dès qu’on a commencé à discuter et négocier avec le CSP. En termes d’évolution de carrière, de futur, je suis quelqu’un qui ne prévoit absolument rien. Même quand j’étais scout, j’étais seulement fixé sur le présent. Je sais que je peux être un peu terrible sur le futur car je ne prévois rien. Forcément, parfois on y réfléchit, mais je ne recherche jamais rien activement. Il n’y a jamais rien de prémédité. Phoenix, je les ai rencontré à la Summer League NBA, ce n’était pas du tout quelque chose de calculé. Puis, dans le métier que je fais actuellement, le scouting est quelque chose qui est toujours très présent. Ce n’est pas comme si cela avait complètement disparu de ce que je fais actuellement.

Pour parler du recrutement. Pour le moment, tout se passe comme tu l’espérais ? Les joueurs signés jusqu’à maintenant sont des joueurs que tu voulais dès le départ?

Pour le moment je suis assez content parce qu’il n’y a pas vraiment eu d’accro à part sur le cas Matthew Strazel avec l’ASVEL mais je pense que c’était indépendant de ma volonté et de celle du joueur. Pour moi, le plus important c’était l’aspect JFL car je considère que c’est le cœur d’un club, le cœur du vestiaire, ce à quoi les supporters et les partenaires s’identifient. C’est aussi eux qui connaissent le mieux la ville, le club, l’histoire et savent ce que ça représente et peuvent être garants des valeurs du club. En parallèle, je voulais vraiment créer un bon mix entre les jeunes et les vétérans. Prolonger Nicolas Lang, était une priorité dès le départ. Je considère que c’est l’un des meilleurs JFLs de notre championnat, il est en pleine force de l’âge. C’est aussi important de pouvoir faire venir un joueur comme Lucas Ugolin qui a énormément de potentiel, qu’on peut faire grandir chez nous et, je l’espère, faire exploser chez nous. À côté de ça, il y aussi des joueurs comme Wilfried et Mathieu qui vont beaucoup apporter à l’équipe. Je n’aime pas le terme « soldat », je trouve ça péjoratif, mais j’aime quand on parle en NBA de « role player ». Ce sont de très gros bosseurs, des personnes qui aident énormément dans le vestiaire à tous les niveaux. Je trouve qu’ils sont aussi, voire parfois plus importants qu’un joueur américain.

En parlant d’Américains, il y a eu deux recrues d’annoncées, quels profils recherchais-tu en les engageant ?

Pour moi, ils sont un petit peu dans le même moule. Ce sont des joueurs qui vont découvrir la coupe d’Europe mais qui ont beaucoup de vécu. Bryce (Jones) n’a pas eu un parcours facile, il est passé par le JUCO (Junior College, ndlr), il a été recruté en NCAA par un coach qui s’est fait virer le lendemain de sa signature. Ensuite, il va bourlinguer en Serbie dans des petits clubs. Depuis Murray State, avant Ja Morant, je l’ai toujours trouvé très intéressant comme joueur. J’ai suivi son parcours quand il est arrivé à Borac en Serbie, en 2019, et j’ai toujours trouvé qu’il avait un potentiel énorme et que c’était un joueur sous les radars. Cette année il a explosé à FMP, c’était le joueur majeur de l’équipe qu’il a amené en playoffs d’Adriatic League. Je trouvais ça très intéressant qu’il puisse passer un nouveau cap chez nous. Je suis vraiment convaincu de son potentiel et toutes les infos qu’on a pu regrouper sur lui nous ont confortés dans notre choix.

Desi (Rodriguez), je le connais depuis plusieurs années. Quand j’étais en NBA, on l’avait eu en work out à Phoenix avant la Draft. Par conséquent, j’ai toujours suivi son parcours. C’était un très bon joueur en NCAA, mais un peu trop petit pour la NBA sur son poste, mais qui a un peu le profil parfait pour l’Europe. Physiquement c’est un cube, il a un moteur incroyable, il a des pourcentages près du cercle qui sont vraiment très élevés pour un joueur de sa taille et ce n’est pas non plus le plus athlétique du monde. Le fait qu’il puisse jouer sur plusieurs postes, ça m’a toujours plu. Cette année, il a, lui aussi, un peu eu sa saison de l’explosion à Wolfsburg où il a enfin été replacé à son vrai poste. On a toujours tenté de le faire jouer poste 3, mais j’ai toujours pensé que c’est un 4/5 de petite taille. Il peut jouer en 3, mais ce n’est pas le poste parfait pour lui. Ce sont deux joueurs qui vont découvrir le rythme de deux matchs par semaine et qui vont tenter de franchir un nouveau cap avec nous.

Maintenant on veut aussi pouvoir miser sur des joueurs qui ont plus d’expérience. On veut vraiment un mix de “jeunesse” et d’expérience. Avoir Nicolas et Wilfried sur les JFL, qui ont déjà cette expérience-là, et Lucas et Matthieu qui vont découvrir la BCL.

C’est simple pour un joueur français de lui vendre Limoges et de lui faire comprendre l’engouement qu’il y a ici. Penses-tu que les Américains, notamment les deux qui ont signé, ont compris où ils mettent les pieds ?

Je ne pense pas. Je crois que tant que tu n’es pas venu à Limoges, que tu n’as pas vécu un match à Beaublanc, tu n’as pas notion de cela. Tu écoutes ce qui se dit sur ce club, mais tu ne mesures pas l’importance du club ici. Bryce a quand même connu de sacrées ambiances. Je me souviens d’un match en coupe de Serbie avec FMP lors duquel il affronte une salle pleine de supporters du Partizan Belgrade. Il n’a jamais eu peur de ces moments-là, bien au contraire. Ça multiplie son envie de faire un gros match. Desi, lui, se nourrit de cette énergie quand il joue. J’ai l’impression qu’il va avoir une connexion particulière avec les fans de Limoges parce que c’est un joueur qui a un moteur et une énergie énorme, et qui se nourrit du public pour encore plus se donner sur le terrain. Je pense qu’il va parfois falloir un peu le canaliser mais que l’énergie limougeaude va énormément l’aider.

On a pu voir cette saison que les joueurs étrangers ont été particulièrement appréciés. Les supporters doivent attendre une continuité à ce niveau-là.

Je pense que les supporters limougeauds, du moment que les joueurs donnent tout sur le terrain, c’est le principal. J’ai des exemples de matchs en tête, notamment contre Monaco et l’ASVEL en fin de saison. On perd, mais les joueurs ont tout donné, ils se sont accrochés jusqu’au bout et je me souviens du public qui applaudissait à la fin. J’avais limite l’impression que c’était gagné alors que ce n’était pas le cas. Mais si les joueurs ne “mouillent pas le maillot”, là, je pense qu’ils vont les entendre. De toute façon Massimo Cancellieri risque de leur faire passer le message avant les supporters. Avec un entraîneur comme Massimo, ça m’étonnerait fortement de voir des joueurs qui ne donnent pas tout sur le terrain.

Ça doit d’ailleurs être rassurant de ton point de vue de savoir que vous recrutez des joueurs tout en sachant qu’il y a déjà un coach qui leur fait sortir le meilleur d’eux-mêmes.

C’est sûr que déjà d’avoir de la continuité avec Massimo c’est rassurant pour moi, mais également pour tout le club. Il a cette énergie, mais surtout cette exigence qui font que les joueurs comprennent très vite. Il ne crie pas ou ne gesticule pas pour faire le show, il est vraiment très investi. Quand on assiste aux entraînements, on voit qu’il a vraiment cette exigence du détail. C’est sûr qu’il ne les lâchera pas là-dessus, ni sur l’envie qu’ils déploient sur le terrain. Lui et moi on essaye de mettre les joueurs dans les meilleures conditions possibles, mais en retour on attend également un maximum d’efforts sur le terrain de leur part.

Il nous faut encore quatre joueurs. On a six joueurs sous contrat, sachant qu’en jouant la BCL, on voudrait partir sur un effectif de dix joueurs qui peuvent donner des minutes. Lucas Ugolin est dans les dix et on compte vraiment sur lui pour jouer.

Jusqu’à maintenant y-a-t’il eu des sujets plus compliqués à gérer que d’autres? Comme la prolongation du coach, ou le départ de Hugo Invernizzi?

C’est vrai qu’il y a eu des moments un peu plus compliqués. Avec Massimo ça a été un peu compliqué au début car je n’étais pas à Limoges, on se connaissait mais sans plus. Il a fallu apprendre à se connaître, apprendre à se faire confiance. Ça a pris du temps, mais une fois que tout ça s’est mis en place, la prolongation a été assez facile à trouver. C’est vrai, j’ai 30 ans, donc ce n’est pas toujours evident d’être jugé sur son âge et non sur ses compétences. Mais ça nous a énormément servi parce que maintenant on a vraiment une super relation. On travaille main dans la main dans la construction de l’équipe et je pense que la relation de confiance s’est installée parce qu’il voit que je fais tout pour lui donner le meilleur staff possible, les meilleurs joueurs possible. Il me le rend par le travail qu’il fournit. Cette période d’adaptation a été une bonne chose.

Concernant Hugo, ce n’était déjà pas facile d’un point de vue personnel. Je le connais depuis des années, nous sommes amis. Lui comme moi, on comprend que le monde du basket c’est un business avant tout, donc on a mis les sentiments et les émotions de côté. Malheureusement, on n’a pas réussi à trouver un accord sur ce que je pensais être sa valeur et sur ce que lui pensait être sa valeur. Il n’y a pas eu de mauvais sentiments l’un envers l’autre, je l’ai encore vu récemment à Limoges.

L’effectif n’est pas encore terminé, mais quelles sont les projections pour toi. À quoi t’attends-tu ?

Le but, c’est clairement de refaire les playoffs. Il y a beaucoup d’équipes costaudes en Betclic Elite, notre but premier, c’est les playoffs. En coupe d’Europe on va prendre les matchs les uns après les autres, mais on veut quand même les gagner, c’est sûr. On débute la saison avec un nouvel effectif et une envie de bien faire. Le début de saison sera très chargée entre la BCL et le championnat.

Crédit photo : Limoges CSP/Ann-Dee Lamour

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